Au fil des jours ... en 2013





8 février : calendrier liturgique



La croix de bois

« Gardienne des chemins qui vont par les villages,
Vieille croix dont les bras s'ouvrent dans les feuillages ;
Toi qu'entourent là-bas, d'un cercle familier,
Et l'épine et le charme et le haut peuplier,
Pour te voir en automne on passe dans les haies
Encor pleines d'oiseaux, de feuilles et de baies.

Au midi les regains verdissent les penchants.
Vers le nord c'est la plaine où, seul au fond des champs,
Le dernier laboureur fait deux haltes pour une.
Devant lui c'est la croix, mystérieuse et brune.
Si, craintif et songeur, il ne se signe plus,
Il sait bien que, voilà deux siècles révolus,
Ses ancêtres, au bord de la forêt prochaine,
Sous la hache à grands coups firent tomber un chêne.
Le géant s'étendit sur le sol qui trembla.
Ils en prirent le coeur et le plantèrent là.
On vit la croix de bois debout dans la campagne,
Puis le curé du temps, qu'une foule accompagne,
Bannière déployée un soir vint la bénir.
Les jours diminuaient, l'automne allait finir.
Sur la glèbe brumeuse, aux formes disparues,
Le repos du dimanche arrêtaient les charrues.
Le soir tombait, des voix chantaient, le flot humain
Roula, mêlant sa houle aux ombres du chemin.

La croix, deux ou trois fois depuis, fut renversée.
Sa silhouette absente attristant la pensée
De ceux qui la cherchaient dans l'agreste décor,
Pour un nouveau gibet on abattit encor
Un chêne au coeur mystique et, dépassant la ligne
Du hallier frémissant, réapparut le Signe,
l'arbre taillé, plus droit, plus fort et plus vivant
Que le chêne feuillu qui tressaillait au vent.
C'est que le sang du Christ a coulé comme une onde
Sur cette croix dont la Victime apporte au monde
Le pain de l'âme avec le pain matériel,
Tout l'espoir des moissons de la terre et du ciel.

Le Dieu qui la distingue à travers la nuée,
Ne l'a pas vue aux mains des fils diminuée.
Ici, du moins, survit la foi des paysans.
Sur le socle de pierre où pèsent deux cents ans
Les hommes d'aujourd'hui s'agenouillent encore.
Plus d'un ancêtre y vint s'incliner dès l'aurore.
Et voici, retourné dans le soir qui descend,
Le dernier laboureur qui salue en passant. »

Paul Harel (1854-1926), Poèmes mystiques et champêtres, Paris, Librairie Plon, s.d.

Jean Christophe Laforge, photographe





Giovanni Pierluigi da Palestrina (1525-1594) : "O, Crux Ave"
Choeur de Chambre Madrigal - Dir. Marin Constantin



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