Défense du Catholicisme

14 avril 2009





Lettre ouverte à Mgr di Falco, évêque de Gap-Embrun
A propos de la sculpture de Paul Fryer, exposée à sa demande, en plein chœur de la cathédrale de Gap, jusqu'au Lundi de Pâques.

la sculpture de Paul Fryer

Réflexion en 3 temps :

1. La sculpture, intitulée "Pietà"
2. La présence de cette sculpture dans une cathédrale
3. Les explications de Mgr di Falco


« Soyez attentifs à vous-mêmes, et à tout le troupeau dont l'Esprit-Saint vous a établis gardiens, pour paître l'Eglise de Dieu, qu'il s'est acquise par le sang de son propre Fils »

(Ac 20,28).
« Un temps viendra où l’on ne supportera plus l’enseignement solide, mais, au gré de leur caprice, les gens iront chercher une foule de maîtres pour calmer leur démangeaison d’entendre du nouveau. Ils refuseront d’entendre la Vérité pour se tourner vers des récits mythologiques »
(2 Tm 4, 3-4).

1. La sculpture, intitulée "Pietà" :

Qu'est-ce qu'une Pietà ?
Dans l'art chrétien, c'est une statue où un tableau représentant la Vierge Marie douloureuse (Pietà = "Vierge de Pitié" en français - "Mater dolorosa" en latin), tenant sur ses genoux le corps de son fils, le Christ descendu après sa mort sur la croix.

Dans cette sculpture de Paul Fryer, la chaise symboliserait-elle donc la Vierge Marie ?
Difficile de l'admettre, et de compatir aux douleurs de la Mère, en ne voyant qu'une chaise, fut-elle électrique.
Mais alors où est la Mère, à laquelle le Christ vient de confier Jean, et à travers lui tous les membres de son Eglise ?
Où est notre Mère en cette "Pietà" où seul demeure le Fils, qui semble avoir été abandonné même par sa propre mère ?

Je ne peux m'empêcher de penser au "Stabat Mater"

Elle pleure, pleure, la Mère,
Pieusement qui considère
Son enfant assassiné.

Qui pourrait retenir ses pleurs
A voir la Mère du Seigneur
Endurer un tel Calvaire ?

Qui peut, sans se sentir contrit,
Regarder près de Jésus-Christ
Pleurer tristement sa Mère ?

Pour que je pleure avec toi,
Mère, source d'amour, fais-moi
Ressentir ta peine amère !

Fais qu'en mon coeur brûle un grand feu,
L'amour de Jésus-Christ mon Dieu,
Pour que je puisse lui plaire !

Exauce-moi, ô sainte Mère,
Et plante les clous du Calvaire
Dans mon coeur, profondément !

Je veux contre la Croix rester
Debout près de toi, et pleurer
Ton fils en ta compagnie !

Exit donc la Vierge Marie…

Notons bien là toute l'équivoque de cette chaise, qui semble remplacer la croix.
Car s'il s'agit bien d'une chaise électrique, comme semblent l'indiquer les courroies, et comme vous l'avez reconnu, Mgr di Falco (dans l'interview que vous avez accordée à France Info le 12 avril), alors il s'agit de l'instrument du supplice.
Pourtant, nous, chrétiens, "nous proclamons, nous, un Christ crucifié" (1 Co 1,23)…
Sur la croix, où se rejoignent la verticalité (amour de Dieu) et l'horizontalité (amour des frères), le Christ crucifié a offert le don parfait de l'Amour en sa plénitude, destiné à l'humanité tout entière…
"Pour nous, le Christ s'est fait obéissant, jusqu'à la mort, et la mort sur une croix. Voilà pourquoi Dieu l'a élevé souverainement et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom."
(Phi 2, 8-9)

Mgr Rey rappelait il y a quelques jours lors de son homélie de la Messe Chrismale :
"« Le langage de la Croix est folie pour ceux qui se perdent. Mais pour ceux qui sont en train d’être sauvés, pour nous, il est puissance de Dieu », dira l’apôtre Paul aux chrétiens de Corinthe (1 Cor, 18 sq)
Cette sainte Croix que nous allons baiser de nos lèvres, dans quelques jours, nous convoque à la suite du Christ qui l’a embrassée, à avoir le courage de la vérité. Le courage de la proclamer. Le courage de l’enseigner, à temps et à contretemps. C’est ce qu’on attend du prêtre dans la responsabilité pastorale que l’évêque lui confie. C’est ce qu’on attend du fidèle laïc en raison de l’engagement baptismal au cœur du monde."

Et j'ajouterai : c'est aussi ce que l'on attend de nos évêques…

Exit donc aussi la croix…

Il est dès lors légitime de se poser la question, devant ces trahisons de la vérité historique et évangélique de cette scène de la Passion de Notre Seigneur, de savoir si cette sculpture relève de l'art sacré ou de l'art iconoclaste, tellement en vogue aujourd'hui, et capable d'abuser bien des esprits… et de se demander si elle a vraiment sa place dans une cathédrale, lieu sacré par excellence…

Dans votre homélie de la nuit pascale, vous avez vilipendé "certains qui se proclament pour autant chrétiens, [qui] semblent être tellement fermés à la force de cette parole d'amour", résumant leurs indignations par l'expression méprisante de "cris d'orfraie"… Juger ainsi ceux qui ne partagent pas votre point de vue sur cette sculpture, mettre en doute même leur foi de chrétien, est-ce là la parole charitable d'un évêque envers ses frères en Christ ?

« Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. »
(Mt 5, 7)

Mgr di Falco, dans votre homélie de la nuit pascale, vous avez mis en garde vos paroissiens contre les "néo-pharisiens" (ceux qui ne partagent pas votre point de vue)… mais vous adhérez semble-t-il au néo-modernisme de cet art qui se dit sacré, et qui n'est qu'une défiguration des symboles de notre foi…

"Le temps des chrétiens punaises de sacristies est révolu" avez-vous déclaré dans votre homélie. "Punaises de sacristie" et autres grenouilles de bénitiers (expression équivalente, mais vous ne l'avez pas osée…) ont du apprécier cette expression colorée et empreinte de douceur. Il faut donc que l'Eglise change. Si vous pensez que les chrétiens sont enfermés dans des "tombeaux", pensez-vous qu'il soit charitable de les en faire sortir par la provocation et l'invective ?

« Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur… »
(Mt 11,29)
Jésus, doux et humble de cœur, rendez notre cœur semblable au vôtre…


2. La présence de cette sculpture dans une cathédrale

"Ce que j'ai éprouvé, je voudrais le faire partager avec les fidèles de mon diocèse."
C'est ce que vous avez déclaré, Mgr di Falco, lors de votre interview pour TF1, retransmise le 9 avril dernier.

Le désir de "faire partager avec les fidèles de son diocèse" ses propres doutes, ses propres questionnements, à un moment de la vie de l'Eglise où les fidèles ont besoin d'être rassurés, d'être réconfortés, réunis, leur a en fin de compte offert une occasion de plus de se déchirer, de se diviser…
Pensez-vous toujours que ce partage de votre ressenti était judicieux ?
Faudrait-il rappeler ici quel est le maître de la division, trop heureux de se faire toujours de nouveaux esclaves, et la signification du mot "diabolos", qui a donné "diable" en français ?

« Celui qui n’est pas avec moi est contre moi ; celui qui ne rassemble pas avec moi disperse. »
(Lc 11, 23)

Combien de catholiques auront été profondément choqués, meurtris au plus profond de leur foi, par cette sculpture placée dans votre cathédrale ? Etait-ce le prix à payer pour que d'autres viennent la voir, et vous rassurent sur votre choix, dont vous semblez bien persuadé qu'il a été le bon ?

"Nous devons avoir à cœur l’unité des croyants. En effet, leur discorde, leur opposition interne met en doute la crédibilité de ce qu’ils disent de Dieu."
Benoît XVI, extrait de la Lettre aux évêques de l'Eglise Catholique, 10 mars 2009.

Si vous cherchez à "bousculer", Mgr di Falco, alors permettez-moi de vous suggérer quelques pistes à explorer :
Pourquoi ne pas remplacer l'Enfant-Jésus de la prochaine crèche de Noël en votre cathédrale par un fœtus avorté ? Je suis certain que vous ferez "salle comble". Ne serait-ce pas une belle occasion de méditer sur la valeur de la vie et sur l'incarnation…
Et pour la célébration de la prochaine Toussaint, pourquoi ne pas faire venir cette exposition qui fait fureur actuellement à Paris : "Our Body" (*) ? Elle ne manquerait pas d'attirer un très large public. Quelle formidable occasion de les faire réfléchir sur la valeur du corps et la résurrection à laquelle il est promis !
(*) Cette exposition de corps humains, traités et mis en scène par Gunther Von Hagens, a déjà attiré trente millions de visiteurs depuis le début de son périple à travers le monde il y a quelques années.

Mais soyons sérieux…
Vous avez déclaré dans votre homélie de la nuit pascale :
"Jamais autant que cette année, pendant une Semaine Sainte, plusieurs centaines de personnes de tous âges, des familles entières, n'étaient venues dans la cathédrale pour ce face à face avec ce Christ offert aux bras ouverts pour les accueillir."
S'agit-il donc pour l'Eglise de "faire du chiffre", et de remplir nos églises "à tout prix" ?

Ignorez-vous donc qu'ailleurs en France, c'est par l'exposition permanente du Saint Sacrement que des églises se remplissent de nouveau, que des âmes se convertissent, que des jeunes et des moins jeunes reviennent vers le Christ et son Eglise…?

A choisir entre la Présence réelle du Christ Vivant, et une sculpture qui demeure discutable et sujet à polémique, ne croyez-vous pas que le choix devrait être simple… et urgent ?

« Bienheureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu. »
(Mt 5, 9)


3. Les explications de Mgr di Falco :

"La première fois que je l'ai vu lors d'une exposition, j'ai été ému… On ne peut pas rester indifférent. Et ça m'a posé une question, je me suis dit : pourquoi tu n'éprouves pas la même émotion lorsque tu es devant un crucifix ?"
C'est ce que vous avez déclaré lors de cette interview retransmise sur TF1 le 9 avril.

La question méritait en effet d'être posée. Terrible question…
Mais qui peut se satisfaire de la réponse que vous avez apportée… :
"parce que je suis né avec le crucifix, que je l'ai toujours vu, et que je suis habitué."

Qui en effet peut s'habituer à la douleur de Celui qui a porté nos péchés, qui a souffert à cause de nous, s'il se dit chrétien ? Et s'il constate qu'il s'est "habitué" à ce tableau effrayant de l'Amour crucifié, ne doit-il pas se demander si sa foi ne se serait pas refroidie, et qu'il serait devenu "tiède"…?

"Pourtant c'étaient nos souffrances qu'il portait,
Nos douleurs dont il était chargé"
….
"C'est à cause de nos fautes qu'il a été transpercé,
c'est par nos péchés qu'il a été broyé.
Le châtiment qui nous obtient la paix est tombé sur lui,
Et c'est par ses blessures que nous sommes guéris."

(Isaïe 52,13 - 53,12 - 1° lecture du Vendredi Saint)

Faut-il donc avoir perdu le sens du péché, ou ne plus se reconnaître pécheur ("Si nous disons : "Nous n'avons pas de péché", nous nous abusons, la vérité n'est pas en nous." 1 Jn 1, 8), pour ne pas être ému jusqu'au fond de ses entrailles en regardant le Christ crucifié, portant nos péchés sur le bois de la croix…
"toutes nos fautes passées, Dieu les a oubliées depuis longtemps" avez-vous dit lors de votre homélie pascale. Il aurait été utile de préciser alors à vos paroissiens quelle utilité vous accordez au Sacrement de Réconciliation…

"Devant la violence de celle et ceux - certes minoritaires, mais actifs et virulents, qui crient au scandale - je m'interroge."
Ne cessez pas de vous interroger, Monseigneur. Cela en vaut la peine.

Le Catéchisme de l'Eglise Catholique rappelle (1558) que "par l’Esprit Saint qui leur a été donné, les évêques ont été constitués de vrais et authentiques maîtres de la foi, pontifes et pasteurs" (CD 2), et que "les évêques, d’une façon éminente et visible, tiennent la place du Christ lui-même, Maître, Pasteur et Pontife et jouent son rôle (in Eius persona agant)" (LG 21).

Maître de la foi, tenant la place du Christ lui-même, l'évêque a une lourde et grave responsabilité quant aux choix qu'il est amené à faire tout au long de la charge qui lui a été confiée.

"À notre époque où dans de vastes régions de la terre la foi risque de s’éteindre comme une flamme qui ne trouve plus à s’alimenter, la priorité qui prédomine est de rendre Dieu présent dans ce monde et d’ouvrir aux hommes l’accès à Dieu. Non pas à un dieu quelconque, mais à ce Dieu qui a parlé sur le Sinaï ; à ce Dieu dont nous reconnaissons le visage dans l’amour poussé jusqu’au bout (cf. Jn 13, 1) – en Jésus Christ crucifié et ressuscité."
Benoît XVI, extrait de la Lettre aux évêques de l'Eglise Catholique, 10 mars 2009.

"Je vous exprime toute mon estime pour ce don de vos personnes : malgré l'ampleur de la tâche, que ne vient pas diminuer l'honneur qu'elle comporte – honor, onus ! – vous accomplissez avec fidélité et humilité la triple tâche qui est la vôtre : enseigner, gouverner, sanctifier suivant la Constitution Lumen Gentium (nn. 25-28) et le décret Christus Dominus. Successeurs des Apôtres, vous représentez le Christ à la tête des diocèses qui vous ont été confiés, et vous vous efforcez d’y réaliser le portrait de l'Évêque tracé par saint Paul ; vous avez à grandir sans cesse dans cette voie, afin d'être toujours plus « hospitaliers, amis du bien, pondérés, justes, pieux, maîtres de vous, attachés à l'enseignement sûr, conformes à la doctrine » (cf. Tt 1, 8-9). Le peuple chrétien doit vous considérer avec affection et respect."
Benoît XVI, extrait de la Rencontre avec les évêques de la Conférence épiscopale de France à Lourdes, 14 septembre 2008.

Puisse l'Esprit Saint vous éclairer et vous guider dans le futur, afin qu'une telle situation ne se reproduise plus, et que vous demeuriez le témoin vivant du Christ crucifié, portant nos péchés pour le salut du monde, et ressuscité pour qu'à sa suite nous ayons la Vie.

Que le Seigneur nous protège tous et nous conduise sur le chemin de la paix !

Jean-Claude Prieto
responsable de ce site


NB : On pourra s'étonner de ce choix d'une "lettre ouverte" de préférence à un message simplement adressé à Mgr di Falco.
Je songeais tout d'abord à l'envoi d'un courrier personnel, pour faire part à l'évêque de Gap-Embrun de mes interrogations au sujet de l'exposition de cette sculpture en la cathédrale de Gap.
La virulence de ses propos lors de l'homélie de la nuit pascale, et les insultes - publiques - dont il a usé à l'encontre de ceux qui lui avaient manifesté leur désapprobation, m'ont conduit à rédiger ce courrier - désormais public lui aussi - réactualisé en fonction de ses propos si affligeants.



"La beauté, comme la vérité, c’est ce qui met la joie au coeur des hommes, c’est ce fruit précieux qui résiste à l’usure du temps, qui unit les générations et les fait communier dans l’admiration. Et cela par vos mains...
Que ces mains soient pures et désintéressées! Souvenez-vous que vous êtes les gardiens de la beauté dans le monde : que cela suffise à vous affranchir de goûts éphémères et sans valeur véritable, à vous libérer de la recherche d’expressions étranges ou malséantes."
Paul VI, Message aux artistes, 8 décembre 1965 (texte intégral)

"Au seuil du troisième millénaire, je vous souhaite à tous, chers artistes, d'être touchés par ces inspirations créatrices avec une intensité particulière. Puisse la beauté que vous transmettrez aux générations de demain être telle qu'elle suscite en elles l'émerveillement ! Devant le caractère sacré de la vie et de l'être humain, devant les merveilles de l'univers, l'unique attitude adéquate est celle de l'émerveillement."
Jean-Paul II, Lettre aux artistes, 1999 (texte intégral)

"En faisant œuvre de beauté, il [l'artiste] fait œuvre de vérité, et son art peut porter à l’adoration, à la prière et à l’amour du Dieu créateur et sauveur, saint et sanctificateur, comme les chefs d’œuvre de Louis Brea, tout pénétrés d’une lumière intérieure émanant d’une foi très profonde.
Mais l’artiste n’a pas de droits sur la beauté, qui est splendeur et rayonnement. Seule sa source la contient en totalité. La beauté ne s’emprisonne pas ni ne se retient comme un capital. Elle n’est la propriété de personne et se donne à tous. L’artiste s’en fait humblement le serviteur, comme le diamant qui diffuse le rayonnement de la lumière, sans retenir à lui, mais en révélant ses diverses facettes comme les multiples couleurs de l’unique lumière. Ainsi, l’art sacré conduit le chrétien à la source même de sa foi.
Ce serait se fourvoyer que de prétendre conquérir la beauté, lui imposer ses propres canons. Affaire de culture, certes, qui ne se dénude pas effrontément à tous les regards, elle est respectueuse de l’homme et de son histoire et se traduit en harmonie avec sa vie dans ce qu’elle a de grand et de beau. L’artiste ne peut faire n’importe quoi avec la Beauté qui se révèle. Il se sait serviteur du mystère, et par la médiation de son œuvre, il laisse la liberté du Christ rencontrer la liberté de cet autre que nous sommes."
Cardinal Poupard, Conférence "Art sacré et christianisme, 19 avril 2001 (texte intégral)



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