Mois de Marie

d'après Bossuet



Deuxième Jour

Le Rosaire et le mauvais temps

C'est dans une petite paroisse, il doit y avoir le lendemain une grande fête religieuse qui attirera tous les environs ; un pèlerinage à deux corps de martyrs qui protègent régulièrement les vignobles de la région, de tout accident.
On doit dire la messe en plein air, prêcher, processionner, et les arcs de triomphe remplissent les rues pavoisées, enguirlandées avec un goût parfait, inspiré par une ferveur ardente. Mais il fait un temps, un temps ! Sans compter que le baromètre baisse pacifiquement sans se troubler. Et le bon curé, lui aussi, s'exténue, travaille, ornemente, dresse ici une tente, place là un banc... sans se troubler. Le soir est venu : « Décidément, M. le Curé, je crois que le diable s'est mis tout à fait de la partie et que notre fête est bien compromise. – Possible… mais le bon Dieu pourrait lui aussi se mettre de la partie... Allons, bonsoir et préparez vos cordes vocales pour qu’elles puissent vibrer aux oreilles de 2.000 hommes. – Hum ! 2.000… avec ce temps… bonne nuit ! soyez bon prophète ! »
Et le lendemain matin, le soleil avec de gais rayons annonce le réveil. Incroyable ! Messe sur la grande place publique, au moins 1.500 auditeurs, et les voitures, les équipages arrivent et le soir, 2.000 et quelques personnes à la procession superbe, agrémentée des couleurs multiples de 1.000 ombrelles, parasols...
Et quand tout est fini, que le calme s’est fait, que dans la joie douce des bons souvenirs d’un dur, mais béni labeur, l’âme se dilate, le cœur s’abandonne. « Tout de même, cher M. le curé, vous avez bien prophétisé, le bon Dieu, lui aussi, s’est mis de la partie. – Je vous l’avais bien dit… d’ailleurs, je le savais… J’avais promis à mes martyrs d’avoir une foi à transporter des montagnes. – En tous cas, vous avez transporté des océans ! – Quand je vous ai eu quitté hier soir, j’ai achevé mon bréviaire, mis ordre à certaines affaires, c’était minuit : et toujours le noir au ciel, toujours la pluie. Alors, je me suis mis à genoux, je dis un rosaire. Je me relève, vais à la fenêtre, il pleuvait moins. Je dis un second rosaire, en me promenant, je vais à la fenêtre, il ne pleuvait plus, mais toujours des nuages. Alors, voici ma tactique : un chapelet à genoux, un chapelet en me promenant, et vous ne savez pas ? A chaque chapelet, il me semblait que la Sainte Vierge donnait un coup de balai dans le firmament, un à un les gros nuages disparaissaient. Vers trois heures et demie, le ciel était bleu comme l’oriflamme des Enfants de Marie, à quatre heures, un superbe soleil, vous savez le reste. – Et vous ne vous êtes pas couché ? - Non, c'était l'heure de commencer mon oraison. - Mais vous devez n'en plus pouvoir. — Bah ! je ne m'en suis pas aperçu, ah ! voyez-vous, la foi, la confiance... Oh ! mais, qu'est-ce que je dis, je vous demande pardon ! voyez où je l'ai mise ma confiance, ce soir, en me laissant aller à vous dire ces choses. Je vous en prie, soyez discret. — Oh ! sûrement, cher M. le Curé, je ne vous nommerai pas, mais je vous promets bien de raconter, pour la gloire de la Sainte Vierge, l'histoire de votre confiance à qui voudra l'entendre ».
Et l'auteur de ce livre tient parole.

Résolution. – Recourir à Marie comme à une mère à qui l’on confie tout.


Pratique du jour

Les créatures ont été données à l’homme pour l’aider à aller à Dieu. Ce sont des degrés par lesquels notre néant monte vers l’Infini divin. Les saints eux-mêmes ne font pas exception à cette règle, et ils nous sont des moyens de nous élever jusqu’au Créateur.
Du reste, plus une créature est grande, belle, parfaite, plus elle nous permet en quelque sorte d’approcher Dieu. Et si sa perfection est une perfection morale qu’être libre elle a atteinte en tendant fidèlement vers son Dieu, plus facile et plus large, ce semble, est l’accès qu’elle nous ouvre vers Lui. On dirait que dans le sillage qu’elle a laissé sur l’océan de ce monde, notre barque s’avance avec une sécurité plus grande.
Voilà pourquoi par les saints nous allons vers Dieu avec moins d’efforts. Et c’est aussi la raison pour laquelle par la Sainte Vierge, la plus fidèle des âmes, nous trouvons si facilement Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Appliquons-nous donc aujourd’hui à recourir souvent à elle pour aller ensuite par elle à Celui qui, l’ayant faite si grande et si belle, a bien voulu nous la donner pour Mère.


Prière

Vierge Marie, le monde est pour nous plein de pièges, et ses voies sont remplies d’embûches où à chaque instant nous pouvons tomber et nous perdre. Ses attraits perfides agissent sur nos esprits et sur nos cœurs. Ses vains mirages nous attirent ; ils nous charment en nous trompant. Malgré toutes nos déceptions passées, notre crédulité imprudente est toujours exposée à sacrifier aux illusions nouvelles qui la sollicitent et, en sortant du vrai chemin, à courir aux abîmes où l’on se perd pour l’éternité.
Puisque telle est notre faiblesse, venez à notre secours, ô ma Mère. Raffermissez nos âmes, éclairez-les. Maintenez-nous inflexiblement dans la voie qui conduit à Dieu. Gardez-nous des fascinations troublantes qui nous y attendent pour nous égarer. Défendez-nous des aveuglements qui y frappent tant d’intelligences, et des défaillances dont tant de cœurs s’y souillent.
Qu’aucune créature, si belle soit-elle, ne nous y charme au point de s’interposer entre Dieu et nous. Mais que, grâce à votre protection maternelle, les yeux fixés à l’horizon éternel, nous y marchions d’un pas ferme pour chanter un jour vos louanges dans le chœur des Esprits célestes. Ainsi soit-il.