Mois de Marie

d'après Bossuet



Dixième Jour

Récit de Mgr Dupanloup

J’ai eu une révélation de l’extrême puissance de l’Ave Maria : c’était auprès d’un lit de mort, et en recueillant, en bénissant le dernier soupir d’une enfant qui m’était bien chère, une toute jeune femme à qui naguère j’avais fait faire la première communion. J’avais la coutume de ne jamais faire faire la première communion sans recommander à mes enfants au moins la fidélité à cette simple et puissante prière, l’Ave Maria, et cette jeune femme, - elle avait à peine vingt ans et il y avait à peine un an que j’avais béni son mariage, - cette jeune femme depuis sa première communion, avait été très fidèle à mes conseils ; et même, - c’était encore une autre de mes recommandations, - elle récitait tous les jours quelques dizaines de chapelet, et depuis quatre ans elle le récitait tout entier. Fille d’un des vieux maréchaux de l’Empire et des plus justement célèbres, adorée de son père, de sa mère et de son mari, riche, jeune, brillante, heureuse enfin d’avoir donné le jour à un fils. Au milieu de tout ce bonheur présent et de ces rêves d’avenir, tout à coup, à vingt ans, il faut mourir ! A peine mère, frappée d’une de ces maladies inexorables auxquelles on n’échappe pas… il faut mourir. T c’est moi qu’on chargeait de lui porter cette horrible nouvelle. J’entrai.
Je ne pus m’empêcher de lui dire : « O mon enfant, quel coup ! » Et elle, avec un inexprimable accent : « Est-ce que vous ne croyez pas, me dit-elle, que j’irai au ciel ? – Mon enfant, répondis-je, j’en ai une grande espérance. – Et moi, reprit-elle, j’en suis sûre. » Je lui dis : « Qu’est-ce qui vous donne cette certitude ? – C’est, me dit-elle un conseil que vous m’avez donné autrefois. – Quel est ce conseil ? – Quand j’ai fait ma première communion, vous nous avez recommandé de dire tous les jours l’Ave Maria, et de le bien dire. Je l’ai dit tous les jours, et même, depuis quatre ans, je n’ai pas manqué un seul jour de dire mon chapelet tout entier. Et c’est cela qui fait que je suis sûre d’aller au ciel. – Et comment ? lui dis-je. – Je ne puis croire, ajouta-t-elle avec gravité, et c’est une pensée qui ne me quitte pas depuis que j’ai été frappée par la maladie, je ne puis pas croire que j’aie dit depuis quatre ans, cinquante fois par jour, à la Très Sainte Vierge : Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour moi pauvre pécheresse, maintenant et à l’heure de ma mort, et qu’en ce moment où je vais mourir, elle ne soit pas près de moi. Elle y est, j’en suis sûre, elle prie pour moi, et c’est elle qui va m’introduire au ciel. »
Voilà ce que me dit cette jeune femme ; et je vis alors un spectacle que rien ne pourrait retracer : une mort vraiment céleste. Je vis une tendre et frêle créature enlevée, à cette fleur de son âge à tout ce qu’il y a de bonheur ici-bas, à tout ce qui fait aimer la vie, quittant là, sur la terre, un père, une mère, un mari dont elle était adorée et qu’elle adorait, un pauvre petit enfant, gage si désiré et si cher ; quittant tout cela, non sans larmes, mais avec une sérénité radieuse ; consolant ses vieux parents, bénissant son petit enfant ; encourageant son pauvre mari, et au milieu de tous ces liens qui se brisaient, de tous ces embrassements qui essayaient vainement de la retenir, ne voyant que le ciel, ne parlant que du ciel, et son dernier soupir a été un sourire à la grâce et la gloire éternelle.

Résolution. – Etre fidèle à se donner à Dieu chaque matin. Lui consacrer toutes les actions de la journée.


Pratique du jour

Aimons le divin Maître avec toute la pureté et toute la profondeur possibles. Affranchissons notre âme de tous les liens qui la pourraient surcharger. Brisons toutes les chaînes de la matière, si dangereuses à notre cœur, et pour cela « commençons dès cette vie ce que nous ferons dans l’éternité (1). Commençons à nous détacher des sens, et à vivre selon cette partie divine et immortelle qui est en nous. Nous qui vivons dans le célibat, puisque nous voulons dès à présent imiter les anges, soyons purs comme eux. Ne vivons que pour Dieu, comme saint Paul l’ordonne : Car l’homme qui a une femme, et la femme qui a un mari, a le cœur partagé. Qui est seul ne pense qu’à Dieu (a). Ceux qui mènent une vie commune ne laissent pas d’être obligés dans le fond au même détachement ; et c’est à eux que le même Apôtre adresse cette parole : Au reste, mes frères, le temps est court : ainsi, que ceux qui ont des femmes soient comme n’en ayant pas et n’y soient point attachés ; que ceux qui pleurent et qui sont affligés, soient comme s’ils ne l’étaient pas (b), et qu’ils conçoivent que leurs larmes seront bientôt essuyées. Que ceux qui se réjouissent conçoivent la fragilité et l’illusion de leur joie, et ne s’y abandonnent pas : Que ceux qui achètent soient comme ne possédant point ; et qu’ils ne cessent de s’imaginer que ce qui tient si peu à eux soit véritablement en leur puissance : Enfin que ceux qui usent des biens de ce monde soient comme s’ils n’en usaient point ; car la figure de ce monde passe… Considérons ce qu’on ne voit pas, et non pas ce qu’on voit, parce que ce qu’on voit passe, et ce qu’on ne voit pas est éternel (c). Passons donc, et prenons tout comme en passant, sans y attacher notre cœur lorsqu’on le possède, ni se troubler quand on le perd. Car le temps de jouir des biens de la terre est court : ce n’est qu’un moment, et ce n’est pas la peine de s’y arrêter. S’y arrêter, c’est renoncer au christianisme et à l’espérance du siècle à venir. »

       (1) : Bossuet, Médit. Sur l’Evang., XLe jour.
       (a) : I Cor. VII, 32-34.
       (b) : Ibid. 29-31.
       (c) : II Cor IV, 18.


Prière

O Marie, Mère de nos âmes, vous à qui seul Jésus-Christ, Sauveur du monde, a livré les clefs des celliers du divin amour ; vous qu’il a appelée dans les voies les plus sublimes et les plus secrètes de la perfection, et à qui il a donné le pouvoir de nous y introduire après vous ; Vierge aimable, qui nous avez rouvert l’accès de ce paradis terrestre de la grâce que notre première mère nous avait fermé par son infidélité : faites que nous y vivions désormais à l’abri des coups perfides du démon. Notre âme a faim : qu’elle s’y nourrisse du fruit délicieux de l’arbre de vie. Elle a soif : qu’elle s’y abreuve à longs traits à la source pure entre toutes des sacrements. Elle est lasse : qu’elle s’y repose sous le regard des anges. Elle tremble : qu’elle s’y rassure auprès de vous. Elle veut aimer enfin : qu’elle s’y plonge dans l’océan de l’amour éternel, et qu’elle y demeure à jamais pour son bonheur et pour sa gloire. Ainsi soit-il.


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