Confiance en la Miséricorde Divine

1. La Miséricorde Divine





Auteurs catholiques

Liturgie chaldéenne

Seigneur, ta miséricorde est éternelle. Ô Christ, toi qui es toute miséricorde, donne-nous ta grâce ; étends ta main et viens en aide à tous ceux qui sont tentés, toi qui es bon. Aie pitié de tous tes enfants et viens à leur secours ; donne-nous, Seigneur miséricordieux, de nous réfugier à l’ombre de ta protection et d'être délivrés du mal et des adeptes du Malin.
Ma vie s’est fripée comme une toile d’araignée. Au temps de la détresse et du trouble, nous sommes devenus comme des réfugiés, et nos années ont flétri sous la misère et les malheurs. Seigneur, toi qui as apaisé la mer d’un mot, apaise aussi dans ta miséricorde les troubles du monde, soutiens l’univers qui chancelle sous le poids de ses fautes.
Gloire au Père et au Fils et au Saint Esprit. Seigneur, que ta main miséricordieuse repose sur les croyants et confirme ta promesse aux apôtres : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). Sois notre secours comme tu as été le leur et, par ta grâce, sauve-nous de tout mal ; donne-nous la sécurité et la paix, afin que nous te rendions grâces et adorions ton Saint Nom en tout temps.
Hymne de l’office du deuxième jour du « Ba’oussa », de saint Ephrem (trad. Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens)


Saint Ambroise (v.340-397)

« De ta miséricorde, Seigneur, la terre est remplie ; enseigne-moi tes volontés » (Ps 118,64). Comment la terre est-elle remplie de cette miséricorde du Seigneur sinon par la Passion de notre Seigneur Jésus Christ dont le psalmiste, qui la voyait de loin, célèbre en quelque sorte la promesse ?... Elle en est remplie, car la rémission des péchés a été donnée à tous. Le soleil a ordre de se lever sur tous, et c'est ce qui arrive chaque jour. C'est pour tous en effet que s'est levé au sens mystique le Soleil de Justice (Ml 3,20); il est venu pour tous, il a souffert pour tous, pour tous il est ressuscité. Et s'il a souffert, c'est bien pour « enlever le péché du monde » (Jn 1,29)...
Mais si quelqu'un n'a pas foi dans le Christ, il se prive lui-même de ce bienfait universel. Si quelqu'un, en fermant ses fenêtres, empêche les rayons du soleil d'entrer, on ne peut pas dire que le soleil s'est levé pour tous, car cette personne s'est dérobée à sa chaleur. Pour ce qui est du soleil, il n'en est pas atteint ; pour celui qui manque de sagesse, il se prive de la grâce d'une lumière proposée à tous.
Dieu se fait pédagogue ; il illumine l'esprit de chacun, y répandant la clarté de sa connaissance, à condition toutefois que tu ouvres la porte de ton coeur et que tu accueilles la clarté de la grâce céleste. Quand tu doutes, hâte-toi de chercher, car « celui qui cherche trouve et à celui qui frappe, on ouvrira » (Mt 7,8).
Sermon 8 sur le Psaume 118 (trad. Eds. Soleil levant, p. 100s ; cf AELF)


Saint Jean Chrysostome (v.345-407)

"… moi, naguère un blasphémateur, un persécuteur, un insulteur. Mais il m'a été fait miséricorde…"
1 Tm 1, 13


Il faut que nous gardions toujours à l'esprit combien tous les hommes sont entourés de tant de témoignages du même amour de Dieu. Si sa justice avait précédé la pénitence, l'univers aurait été anéanti. Si Dieu avait été prompt au châtiment, l'Eglise n'aurait pas connu l'apôtre Paul ; elle n'aurait pas reçu un tel homme dans son sein. C'est la miséricorde de Dieu qui transforme le persécuteur en apôtre ; c'est elle qui change le loup en berger, et qui a fait d'un publicain un évangéliste (Mt 9, 9). C'est la miséricorde de Dieu qui, touchée de notre sort, nous a tous transformés ; c'est elle qui nous convertit.
En voyant le goinfre d'hier se mettre aujourd'hui à jeûner, le blasphémateur de jadis parler de Dieu avec respect, l'ignoble d'autrefois n'ouvrir sa bouche que pour louer Dieu, on peut admirer cette miséricorde du Seigneur. Oui, frères, si Dieu est bon envers tous les hommes, il l'est particulièrement envers les pécheurs.
Voulez-vous même entendre quelque chose d'étrange du point de vue de nos habitudes, mais quelque chose de vrai du point de vue de la piété ? Ecoutez : tandis que Dieu se montre exigeant pour les justes, il n'a pour les pécheurs que clémence et douceur. Quelle rigueur envers le juste ! Quelle indulgence envers le pécheur ! Telle est la nouveauté, le renversement, que nous offre la conduite de Dieu... Et voici pourquoi : effrayer le pécheur, surtout le pécheur obstiné, ce serait le priver de toute confiance, le plonger dans le désespoir ; flatter le juste, ce serait émousser la vigueur de sa vertu, le faire se relâcher de son zèle. Dieu est infiniment bon ! Sa crainte est la sauvegarde du juste, et sa clémence retourne le pécheur.
7ème Homélie sur la conversion.


Saint Augustin (354-430)

Le Seigneur Jésus Christ lui-même a commencé ainsi sa prédication : « Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche » (Mt 4, 17). Jean Baptiste, son précurseur, avait commencé de la même façon : « Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche » (Mt 3, 2). Et maintenant le Seigneur les blâme parce qu'ils ne veulent pas se convertir alors que le Royaume des cieux est proche, ce Royaume des cieux dont il dit lui-même qu'« il ne vient pas de manière visible », et aussi « qu'il est au milieu de vous » (Lc 17, 20-21).
Que chacun ait donc la prudence d'accepter les avertissements de notre Maître, pour ne pas laisser échapper le temps de sa miséricorde, ce temps qui se déroule maintenant, pendant lequel il épargne encore le genre humain. Car, si l'homme est épargné, c'est pour qu'il se convertisse, et que personne ne soit condamné. C'est à Dieu de savoir quand viendra la fin du monde : quoi qu'il en soit, c'est maintenant le temps de la foi.
Sermon 109, 1 ; PL 38, 636 (in Delhougne, Les Pères commentent, p. 15)


Jean Cassien (v.360-435)

Dieu n'a pas créé l'homme pour qu'il se perde, mais pour qu'il vive éternellement ; ce dessein demeure immuable... Car « il veut que tous les hommes soient sauvés, et qu'ils viennent à la connaissance de la vérité » (1Tm 2,4). C'est la volonté de votre Père qui est dans les cieux, dit Jésus, « qu'aucun de ces petits ne se perde » (Mt 18,14). Ailleurs aussi il est écrit : « Dieu ne veut pas qu'une seule âme périsse ; il diffère l'exécution de ses décrets, afin que celui qui a été rejeté ne se perde pas sans retour » (2Sm 14,14 Vulg;cf 2P 3,9). Dieu est véridique ; il ne ment pas lorsqu'il assure avec serment : « Je suis vivant ! Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse de sa voie mauvaise et qu'il vive » (Ez 33,11).
Peut-on alors penser, sans un sacrilège énorme, qu'il ne veuille pas le salut de tous généralement mais seulement de quelques uns ? Quiconque se perd, se perd contre la volonté de Dieu. Chaque jour il lui crie : « Convertissez-vous de votre voie mauvaise ! Pourquoi mourriez-vous, maison d'Israël ? » (Ez 33,11) Et de nouveau, il insiste : « Pourquoi ce peuple s'est-il détourné de moi avec tant d'obstination ? Ils ont endurci leur front ; ils n'ont pas voulu revenir » (Jr 8,5;5,3). La grâce du Christ est donc toujours à notre disposition. Comme il veut que tous les hommes soient sauvés, il les appelle tous sans exception : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués, vous qui ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai » (Mt 11,28).
Conférence 13 (trad. SC 54, p. 156)


Saint Jean Climaque (VI° siècle)

Repousse ce chien d'enfer qui s'approche de toi, tandis que tu es très profondément plongé dans l'affliction, pour te suggérer que Dieu n'a ni miséricorde ni compassion. Car si tu y fais attention, tu remarqueras qu'avant le péché il te représentait Dieu comme ami des hommes, compatissant et enclin au pardon.
L'Echelle Sainte (septième degré, 69), Abbaye de Bellefontaine, Spiritualité orientale n°24, 1978.


Grégoire de Narek (v.944-v.1010)

Dans l'attente certaine de sa puissance malgré le fardeau de mes péchés, je crois avec une espérance inébranlable et en me confiant dans la main du Tout Puissant, que non seulement j'obtiendrai le pardon mais que je le verrai lui en personne, grâce à sa miséricorde et à sa pitié et, bien que je mérite parfaitement d'être proscrit, que j'hériterai du ciel.
Nombreuses sont mes dettes et nul ne peut les compter, cependant elles ne sont pas si étonnantes que ta miséricorde. Multiples sont mes péchés, mais ils sont toujours moindres, comparés à ton pardon. Fréquentes sont mes méchancetés, mais victorieuse de tout cela, ô Fort et Tout-Puissant, est ta bénignité. Innombrables sont pour moi les taches de mon âme, mais pour toi elles sont très limitées. Elles ne sont pas aussi puissantes à revivre les armes que mes péchés ont fabriquées pour moi, couvert de confusion, que ne l'est le souvenir de ta mort, ô Vivant, pour chasser la tyrannie du Destructeur. Que pourra faire un peu de ténèbres à ta lumière divine ? Comment une petite obscurité peut-elle rivaliser avec tes rayons, toi qui es grand ? Comment la concupiscence de mon corps fragile pourra-t-elle être mise en balance avec la Passion de ta Croix ? Que peuvent paraître aux yeux de ta bonté, ô Tout-Puissant, les amoncellements de péchés de tout l'univers ? Voici qu’ils ne sont qu'une motte de terre facile à broyer qu'un coup sec fait voler en éclats, comme une bulle d'eau qui par la chute d'une pluie abondante, commandée par toi, disparaît en crevant aussitôt. […]
C'est toi qui donnes en présent le soleil de suavité aux méchants et aux bons, et fais pleuvoir pour tous deux indistinctement. Tu pèses et mesures avec justice les tentations et les souffrances pour les deux également. Pour les uns la paix est grande à cause de l'attente de la récompense ; par un petit aiguillon de l'épreuve Tu leur fais expier dès ici-bas le peu de leurs dettes. Mais à ceux qui ont préféré la terre, Tu pardonnes par miséricorde : Tu leur donnes aussi un remède de vie avec les premiers ; Tu attends toujours leur retour à toi.
Le Livre de prières, 12,1 & 74 (trad. SC 78), Paris, Le Cerf, 1961.


Bienheureux Guillaume de Saint-Thierry (v.1085-1148)

O Seigneur, tu ne m'as pas laissé partir hors de toi. S'il m'est parfois arrivé de t'oublier, toi, mon Dieu, tu m'as toujours supporté et secouru. Quand mon corps et mon âme ne pouvaient plus tenir, j'ai crié vers toi du fond de l'abîme. Tout de suite, tu es accouru et tu m'as tendu la main, m'arrachant au marais de ma misère, et me rendant la joie de ton salut. Voilà, Seigneur, ce que j'ai été, voilà ce que je suis. Eh bien, je reviens tout à toi aujourd'hui ! Mes misères qui s'étalent, tu les vois comme je les vois ; et j'en ai encore bien plus qui m'échappent, par aveuglement ou par oubli, mais elles sont évidentes pour toi. Quant à mes biens, si j'en ai gardé quelques-uns, aucun cependant n'est entier. L'ennemi m'en a ravi le plus grand nombre, et ce qu'il n'a pu me dérober, il l'a souillé ; et moi, il m'a encore plus avili !
Vois quelle figure je fais devant toi, Seigneur ! Vis-à-vis de ta face, elle s'appelle misère, ô souveraine miséricorde ! Je ne te cache rien de ces coins et recoins les plus secrets de ma vie, tu le sais, ô divine vérité ! Et je t'en prie, que tout en moi soit lumière devant toi ! Car je ne redoute personne tant que moi-même. J'ai si peur, à mon insu, ou même consciemment de me leurrer. Mais c'est toi que je crois, Seigneur, c'est toi que j'espère. Donne-toi à moi, car je ne cherche rien d'autre. Prends pitié de moi, Seigneur, lève-toi, viens au-devant de moi et vois ! Je veux rester ferme dans ta foi, et je veux grandir dans l'espérance. Et pour ce qui est de ton amour, je me tiens là, comme un pauvre et un mendiant devant ta face.


Saint Bernard (1090-1153)

J'ai commis quelque péché grave : ma conscience se trouble, mais elle ne perd pas courage, puisque je me souviens des plaies du Seigneur, qui a été blessé pour nos iniquités (1). Rien n'est si entièrement voué à la mort que par sa mort le Christ n'y puisse remédier. Dès que je pense à cette médecine si efficace, la pire des maladies ne m'effraie plus.
[…] Pour moi, ce qui me manque par ma faute, je le tire hardiment des miséricordieuses entrailles du Seigneur, et elles sont percées d'assez de plaies pour que l'effusion se produise. Ils ont percé ses mains, ses pieds et, d'un coup de lance, son flanc ; par ces trous béants, je puis humer le miel de ce roc, et l'huile qui coule de sa pierre très dure, c'est-à-dire voir et goûter la douceur du Seigneur. Il formait des pensées de paix, et je ne le savais pas, car nul ne connaît la volonté du Seigneur et nul n'est admis à ses conseils. Mais le clou qui pénètre en lui est devenu pour moi une clef qui m'ouvre le mystère de ses desseins. Comment ne pas voir à travers ces ouvertures ? Les clous et les plaies crient qu'en la personne du Christ Dieu se réconcilie avec le monde. Le fer a transpercé son âme et touché son cœur, afin qu'il sût compatir à ma nature vulnérable. Le secret de son cœur paraît à nu dans les plaies de son corps ; on voit à découvert ce mystère d'infinie bonté, cette miséricorde de notre Dieu qui l'a fait venir à nous du haut du ciel. Rien mieux que ces plaies ne pouvait faire éclater en pleine lumière la douce pitié de notre Seigneur. Car il n'y a pas de plus grande compassion que de donner sa vie pour des créatures condamnées et vouées à la mort.
1. Isaïe LIII, 5
Sermon LXI sur le Cantique des Cantiques, Œuvres mystiques, Editions du Seuil, 1953.

Il est dans l'essence de Dieu de compatir et de pardonner.
Sermon sur le Cantique des Cantiques


Saint Thomas d'Aquin (1225-1274)

La toute-puissance de Dieu se montre surtout en pardonnant et en faisant miséricorde parce que cela montre que Dieu a le pouvoir suprême, puisqu'il pardonne librement les péchés ; car celui qui est astreint à la loi d'un être supérieur ne peut librement pardonner les péchés. Ou bien encore parce qu'en pardonnant et en faisant miséricorde aux hommes, Dieu les amène à la participation du bien infini, ce qui est le souverain effet de la puissance divine. Ou encore parce que, comme on l'a dit précédemment, l'effet de la miséricorde divine est le fondement de toutes les oeuvres divines ; en effet, rien n'est dû à personne si ce n'est en raison de ce qui lui fut donné d'abord gratuitement par Dieu. Or, la toute-puissance divine se manifeste surtout en ce que la première institution de tous les biens lui revient.
Somme Théologique, 1a Pars, Q.25, art.3.


Sainte Gertrude d’Helfta (1256-1301)

Toi qui as fait pour moi de si grandes et si belles choses que tu m'as obligée à ton service pour toujours, que te rendrai-je pour tant de bienfaits ? Quelles louanges et quelles actions de grâces pourrais-je t'offrir, même si je m'y dépensais mille fois ? Que suis-je moi, pauvre créature, en comparaison de toi, toi ma rédemption abondante ? Donc, mon âme que tu as rachetée, je te l'offrirai tout entière, je te ferai hommage de l'amour de mon coeur. Oui, transporte ma vie en toi, emporte-moi tout entière en toi et, m'enfermant en toi, fais que je ne sois qu'une même chose avec toi.
Ô Amour, ton ardeur divine m'a ouvert le coeur très doux de mon Jésus. Ô coeur source de douceur, coeur débordant de bonté, coeur surabondant de charité, coeur d’où coule goutte à goutte la bienveillance, coeur plein de miséricorde..., coeur très cher, je te prie d'absorber mon coeur tout entier en toi. Perle très chère de mon coeur, invite-moi à tes festins qui donnent la vie ; verse pour moi les vins de ta consolation…afin que la ruine de mon esprit soit remplie de ta charité divine, et que l'abondance de ton amour supplée à la pauvreté et à la misère de mon âme.
Ô coeur aimé par-dessus tout…, aie pitié de moi. Je t’en supplie, que la douceur de ta charité rende le courage à mon coeur. De grâce, que les entrailles de ta miséricorde s’émeuvent en ma faveur, car hélas, mes démérites sont nombreux, mes mérites sont nuls. Mon Jésus, que le mérite de ta mort précieuse, qui seul a eu le pouvoir d’acquitter la dette universelle, me remette tout ce que j’ai fait de mal…; qu’il m’attire à toi si puissamment que, transformée totalement par la force de ton amour divin, je trouve grâce à tes yeux… Et donne-moi, ô cher Jésus, de t’aimer, toi seul en toutes choses et par-dessus toutes choses, de m’attacher à toi avec ferveur, d’espérer en toi, et de ne mettre à mon espérance aucune limite.
Les Exercices, 7 (trad. SC 127, p. 285 rev.)


Jean Tauler (1300-1361)

« Bienheureux les miséricordieux : ils obtiendront miséricorde. » De la miséricorde, on dit qu'en Dieu elle surpasse toutes ses œuvres ; et c'est pourquoi un homme miséricordieux est un homme véritablement divin, car la miséricorde naît de la charité et de la bonté. Et c'est pour cette raison que les vrais amis de Dieu sont en vérité très miséricordieux et sont plus accueillants aux pécheurs et à ceux qui souffrent, que d'autres qui n'ont pas la charité. Et comme la miséricorde est née de la charité que nous devons avoir les uns envers les autres, d'homme à homme, si nous ne l'exerçons pas, Notre Seigneur nous en demandera un compte particulier au jour du jugement dernier, et à ceux en qui il ne trouvera pas cette vertu nécessaire, il refusera son éternelle miséricorde, ainsi qu'il l'a dit lui-même, et il ne fera état d'aucune perfection, se bornant à les blâmer de ne pas avoir été miséricordieux. Cette miséricorde ne consiste pas seulement en dons, mais elle s'exerce aussi à l'égard de toutes les souffrances qui fondent ou peuvent fondre sur ton prochain. Celui qui voit cela sans témoigner à ses frères une véritable charité et une réelle sympathie dans toutes ses souffrances, et qui ne ferme pas l'œil sur leurs fautes, dans un sentiment de miséricorde, cet homme-là a sujet de craindre que Dieu ne lui refuse sa miséricorde, car « à la mesure dont tu auras mesuré, à la même mesure on te mesurera à ton tour » (1). Aussi, que chacun se garde de juger ou de condamner son prochain s'il veut échapper à la damnation éternelle.
1. Mt. 7, 2
Sermon 71 (extrait), Cerf, Paris, 1991.


Sainte Catherine de Sienne (1347-1380)

Ta vérité a dit que si nous appelions il nous serait répondu, que si nous frappions il nous serait ouvert, que si nous demandions il nous serait donné : ô Père éternel, vers toi tes serviteurs clament miséricorde. Réponds-leur donc. Car je sais que la miséricorde t'appartient en propre et c'est pourquoi tu ne peux pas la refuser à qui te la demande. Ils frappent à la porte de ta vérité, puisque c'est dans ta vérité, ton Fils (Jn 14,6), qu'ils connaissent l'amour ineffable que tu éprouves pour l'homme. Voilà pourquoi ils frappent à la porte. Et c’est pourquoi le feu de ta charité ne pourra pas, ne peut pas ne pas ouvrir à ceux qui frappent avec persévérance.
Ouvre donc, dilate, brise les cœurs endurcis de ceux que tu as créés - sinon pour ceux qui ne frappent pas, du moins pour ton infinie bonté et pour l'amour de tes serviteurs qui frappent vers toi pour les autres. Exauce-les, Père éternel… Ouvre la porte de ta charité illimitée, venue jusqu'à nous par la porte du Verbe. Oui, je sais que tu ouvres avant que nous ne frappions car c'est avec la volonté et avec l'amour que tu leur as donnés que tes serviteurs frappent et t'appellent, pour ton honneur et le salut des âmes. Donne-leur donc le pain de vie, c'est-à-dire le fruit du sang de ton Fils unique.
Les Dialogues, ch. 134 (trad. Guigues, Seuil 1953 p. 455 rev.).

O éternelle Miséricorde, qui couvrez toutes les fautes de vos créatures, je ne m'étonne plus si vous dites à ceux qui sortent du péché mortel et qui retournent à vous : Je ne me rappellerai pas vos offenses. O Miséricorde ineffable, je ne m'étonne plus si vous dites à ceux qui sortent du péché, puisque vous dites de ceux qui vous persécutent : Je veux que vous me priiez pour eux afin de pouvoir leur faire miséricorde.
O Miséricorde, qui venez du Père, et qui gouvernez par votre puissance l'univers tout entier ! O Dieu, c'est votre miséricorde qui nous a créés, qui nous a régénérés dans le sang de votre Fils ; c'est votre miséricorde qui nous conserve ; votre miséricorde a fait lutter votre Fils sur le bois de la croix. Oui, la mort a lutté contre la vie, la vie contre la mort. La vie a vaincu la mort du péché, et la mort du péché a ravi la vie corporelle de l'innocent Agneau. Qui est resté vaincu ? la mort. Et quelle en fut la cause ? votre miséricorde.
Votre miséricorde donne la vie ; elle donne la lumière qui fait connaître votre clémence en toute créature, dans les justes et dans les pécheurs. Votre miséricorde brille au plus haut des cieux, dans vos saints ; et si je regarde sur la terre, votre miséricorde y abonde. Votre miséricorde luit même dans les ténèbres de l'enfer, car vous ne donnez pas aux damnés tous les tourments qu'ils méritent.
Votre miséricorde adoucit votre justice ; par miséricorde, vous nous avez purifiés dans le sang de votre Fils ; par miséricorde, vous avez voulu habiter avec vos créatures à force d'amour. Ce n'était pas assez de vous incarner, vous avez voulu mourir ; ce n'était pas assez de mourir, vous avez voulu descendre aux enfers et délivrer les saints, pour accomplir en eux votre vérité et votre miséricorde. Votre bonté a promis de récompenser ceux qui vous servaient fidèlement, et vous êtes descendu aux limbes pour tirer de peine ceux qui vous avaient servi, et leur rendre le fruit de leurs travaux.
Votre miséricorde vous a forcé à faire encore davantage pour l'homme : vous vous êtes donné en nourriture, afin que nous ayons un secours dans notre faiblesse, et que, malgré notre oublieuse ignorance, nous ne perdions pas le souvenir de vos bienfaits ; tous les jours vous vous offrez à l'homme dans le Sacrement de l'autel, dans le corps mystique de la sainte Eglise. Et qui a fait cela ? votre miséricorde. O Miséricorde, le coeur s'enflamme en pensant à vous ; de quelque côté que je me tourne, je ne trouve que miséricorde, O Père éternel, pardonnez à mon ignorance qui ose parler devant vous ; mais l'amour de votre miséricorde me servira d'excuse auprès de votre bonté.
Traité de la Discrétion (XXX), Lethielleux, Paris, 1802.


Sainte Thérèse de Jésus (1515-1582)

La bonté de Dieu est plus grande que tout le mal que nous pouvons faire. Jamais nous ne pourrons, tant que nous serons de ce monde, épuiser la source de ses miséricordes.

Ma douleur de vous tant offenser est souvent modérée par la joie que je ressens de ce que la patience, avec laquelle Vous me supportez, fait voir la grandeur de votre miséricorde.
...
Vous savez bien, ô mon Seigneur, que souvent la seule pensée de voir votre divin visage courroucé contre moi en ce terrible jour du jugement dernier, me donnait plus de frayeur que celle de toutes les peines et de toutes les furies infernales qui pouvaient m'être représentées. Je vous suppliais de daigner, dans votre miséricorde, me préserver d'une infortune si affreuse, et je vous supplie encore maintenant, ô Seigneur. Quel malheur peut-il m'arriver sur la terre qui soit comparable à celui-là ? Tous les maux d'ici-bas, je les accepte, ô mon Dieu, mais préservez-moi de l'éternel désespoir. Ah ! que je n'abandonne pas mon Dieu, et que je ne cesse jamais de jouir en paix de sa beauté infinie ! Votre Père vous a donné à nous. Que je ne perde pas, ô mon Seigneur, un joyaux aussi précieux ! J'avoue, ô Père éternel, que je l'ai mal gardé. Mais il y a encore un remède, oui, Seigneur, il y a un remède, tant que nous sommes dans cet exil.
O mes frères, ô mes frères, vous qui êtes les enfants de ce Dieu, confiance, confiance ! Sa Majesté a dit, vous le savez, que si nous nous repentons des offenses que nous lui avons causées, Elle ne se souviendra plus de nos fautes et de nos malices. O miséricorde vraiment sans mesure ! que peut-on désirer de plus ? se trouverait-il quelqu'un par hasard qui pût sans honte en demander autant ? C'est maintenant le moment favorable pour recevoir ce que nous donne ce Seigneur compatissant, notre Dieu. Il veut notre amitié ! qui donc la refusera à celui qui n'a pas hésité à répandre tout son sang et à sacrifier sa vie pour nous ? Considérez donc que ce qu'il nous demande n'est rien, et que notre intérêt est de déférer à son désir.
Exclamation XIV, Œuvres complètes, Seuil, Paris, 1948.


Saint François de Sales (1567-1622)

Non seulement l'âme qui a la connaissance de sa misère peut avoir une grande confiance en Dieu, mais elle ne peut avoir une vraie confiance qu'elle n'ait la connaissance de sa misère ; car cette connaissance et confession de notre misère nous introduit devant Dieu. Aussi tous les grands Saints, comme Job, David et autres, commençaient toutes leurs prières par la confession de leur misère et indignité ; de sorte que c'est une très bonne chose de se reconnaître pauvre, vil et abject, et indigne de comparaître en la présence de Dieu. Ce mot tant célèbre entre les Anciens, « Connais-toi toi-même », encore qu'il s'entende : connais la grandeur et excellence de ton âme, pour ne la point avilir et profaner en des choses indignes de sa noblesse, il s'entend aussi : « Connais-toi toi-même », c'est-à-dire ton indignité, ton imperfection et misère. Plus nous sommes misérables, plus nous nous devons confier en la bonté et miséricorde de Dieu ; car, entre la miséricorde et la misère, il y a une certaine liaison si grande, que l'une ne se peut exercer sans l'autre. Si Dieu n'eût point créé d'homme, il eût été vraiment toujours tout bon, mais il n'eût pas été actuellement miséricordieux, d'autant qu'il n'eût fait miséricorde à personne ; car, à qui faire miséricorde sinon aux misérables ?
Vous voyez donc que tant plus nous nous connaissons misérables, et plus nous avons occasion de nous confier en Dieu, puisque nous n'avons rien de quoi nous confier en nous-mêmes. La défiance de nous-mêmes se fait par la connaissance de nos imperfections. Il est bien bon de se défier de soi-même, mais de quoi nous servirait-il de le faire, sinon pour jeter toute notre confiance en Dieu et nous attendre à sa miséricorde ?
Entretiens spirituels (3° Entretien - De la Confiance et Abandonnement, extrait), Œuvres, Editions Gallimard, Paris, 1969.


Saint Claude La Colombière (1641-1682)

Représentez-vous la désolation d'un pauvre berger dont la brebis s'est égarée. On n'entend dans toutes les campagnes voisines que la voix de ce malheureux qui, ayant abandonné le gros du troupeau, court dans les bois et sur les collines, passe à travers les fourrés et les buissons, en se lamentant et criant de toute sa force et ne pouvant se résoudre à rentrer qu'il n'ait retrouvé sa brebis et qu'il ne l'ait ramené à la bergerie.
Voilà ce qu'a fait le Fils de Dieu lorsque les hommes s'étaient soustraits par leur désobéissance à la conduite de leur Créateur ; il est descendu sur la terre et n'a épargné ni soins ni fatigues pour nous rétablir dans l'état duquel nous étions déchus. C'est ce qu'il fait encore tous les jours pour ceux qui s'éloignent de lui par le péché ; il les suit, pour ainsi dire, à la trace, ne cessant de les rappeler jusqu’à ce qu'il les ait remis en voie de salut. Et certes, s'il n'en usait pas de la sorte, vous savez que c'en serait fait de nous après le premier péché mortel ; il nous serait impossible d'en revenir. Il faut que ce soit lui qui fasse toutes les avances, qu'il nous présente sa grâce, qu'il nous poursuive, qu'il nous invite à avoir pitié de nous-mêmes, sans quoi nous ne songerions jamais à lui demander miséricorde...
L'ardeur avec laquelle Dieu nous poursuit est sans doute un effet d'une très grande miséricorde. Mais la douceur dont ce zèle est accompagné marque une bonté encore plus admirable. Nonobstant le désir extrême qu'il a de nous faire revenir, il n'use jamais de violence, il n'emploie pour cela que les voies de la douceur. Je ne vois nul pécheur, en toute l'histoire de l'Évangile, qui ait été invité à la pénitence autrement que par des caresses et par des bienfaits.
Sermon prêché à Londres devant la duchesse d'York (trad. Christus, 1959 / Orval).


Sainte Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690)

Cet aimable Cœur ne veut établir son nouveau règne parmi nous, que pour nous accorder plus abondamment ses grandes miséricordes, et ses précieuses grâces de sanctification et de salut. (L.97)

Et pour ce qui est d'entrer dans son Sacré-Cœur, allez, que devez vous craindre, puisqu'il vous vous invite d'y aller prendre votre repos. N'est-il pas le trône de la miséricorde où les plus misérables y sont les mieux reçus, pourvu que l'amour les présente dans l'abîme de leur misère ? (L.90)

Que votre principal soin soit de tout quitter vous-même et toutes les réflexions d'amour-propre qui font un grand obstacle au dessein de Dieu sur vous. Abîmez toutes vos misères dans la miséricorde de l'aimable Cœur de Jésus et ne pensez plus qu'à L'aimer en vous oubliant vous-même ; et puis laissez-Le faire tout ce qu'Il voudra en vous et de vous et pour vous. (A.32)

Ayez une grande confiance en Dieu et ne vous défiez jamais de sa miséricorde qui surpasse infiniment toutes nos misères. Jetez-vous souvent entre ses bras ou dans son divin Cœur, en vous abandonnant à tout ce qu'Il voudra faire de vous. Ne vous abattez point de vos peines. (A.22)

Vous ne devez manquer de confiance en sa bonté que lorsque vous aurez épuisé ses miséricordes, dont il vous environne de toute part. Que devez-vous donc craindre, sinon de perdre cette confiance en lui, qui la force et l'attaque jusque dans le trône de sa toute-puissance, afin qu'elle s'incline à secourir notre faiblesse. (L.102)

Ne nous troublons pas, car tous les troubles ne servent qu'à augmenter notre mal. L'Esprit de Dieu fait tout en paix. Recourons à Lui avec amour et confiance, et Il nous recevra entre les bras de sa miséricorde. (L.75)

Après vous être abandonnée au pouvoir et au soin du Sacré-Cœur, vous devriez fondre d'amour et de reconnaissance pour tant de miséricorde et de tendresse qu'Il a pour vous. (A.33)

Que ferais-je si la Croix s'éloignait de moi, puisque c'est elle qui me fait espérer en sa miséricorde ! Elle est tout mon trésor dans l'adorable Cœur de Jésus-Christ, elle y fait tout mon plaisir et toutes mes délices et ma joie. (L.8)


Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704)

Dieu reçoit les pécheurs avec tant d'amour que l'innocence la plus parfaite – mon Dieu, permettez-moi de le dire – aurait quelque sujet de s'en plaindre et d'en avoir de la jalousie. Il les traite si doucement que, pourvu qu'il y ait des regrets, il n'y a presque plus de sujet d'y avoir regret. Nos péchés sont un grain de sable à côté de la haute montagne des miséricordes de Dieu.


Mme de La Vallière (1644-1710)

O Dieu de mon salut, qui tenez mon âme et mon éternité entre vos mains ; vous qui venez de me retirer de la poussière du tombeau, qui me couronnez de miséricordes, et qui remplissez mon âme de tant de saints désirs, afin de la renouveler comme la jeunesse de l'aigle ; vous qui nous promettez que votre colère ne sera pas éternelle envers ceux qui vous craignent, que vous ne leur rendez pas ce qu'ils ont mérité par leurs péchés, et qu'autant que l'Orient est éloigné de l'Occident, vous avez éloigné de vous leurs offenses ; vous qui assurez que, comme le père a pitié de son enfant, vous avez compassion de nous, parce que vous connaissez notre faiblesse, que vous savez que nous ne sommes que poussière, et que nos meilleurs sentiments ne sont que passagers dans notre âme.
Enfin vous, ô mon Dieu ! qui tirez de l'énormité de nos crimes le sujet de vos miséricordes, et qui seul pouvez nous convertir, convertissez mon cœur :
Parce que mon âme est humiliée, et que le regret de vous avoir déplu, me perce de crainte et de douleur ;
Parce que mon âme a mis toute sa confiance en vous, et qu'elle soupire continuellement après votre aimable présence.
Mon Dieu, exaucez mon humble prière, parce que je vous ai choisi pour le bien-aimé de mon âme, et que votre miséricorde surpasse toutes vos autres œuvres.
Enfin, Seigneur, ayez pitié de moi, parce que je suis pauvre et misérable, et que vous êtes infiniment riche et miséricordieux.
Réflexions sur la Miséricorde de Dieu (XXIV°), Paris, chez Maradan, 1804.


Mgr Jean-Joseph Languet de Gergy (1677-1753)

Quoique nous soyons pécheurs, nous ne devons pas croire pour cela, que Dieu n'ait pour nous que des sentiments de vengeance et de haine. Ce sont les misérables et les pécheurs qui sont les objets de sa miséricorde. Le propre de cet attribut c'est de pardonner. Or, à qui est-ce que la miséricorde pardonnera ? Sera-ce à des innocents ? Ne sera-ce point plutôt aux coupables, qui, humiliés après leurs crimes, apportent pour tout mérite à son tribunal, l'humble aveu de leur misère, et le désir sincère d'en sortir ? C'est sur ceux-là qu'elle exerce plus glorieusement son pouvoir. J'ai ressenti, disait l'apôtre saint Paul, parlant de sa conversion, j'ai ressenti les effets d'une miséricorde que je ne méritais point, parce qu'elle a voulu montrer en moi toute son étendue, pour servir d'exemple à ceux qui doivent croire en Jésus-Christ. Tous les pécheurs ressentiraient comme lui les effets de la miséricorde de Dieu, s'ils n'y apportaient point d'obstacle par leur défiance ou par leur présomption.
Ce n'est donc pas, encore une fois un obstacle à recevoir la miséricorde de Dieu, que d'être pécheur. Il semble au contraire, que c'est un motif qui peut aider à l'espérer encore davantage. Un prince a fondé un hôpital magnifique ; tous les pauvres sans exception y sont reçus et traités avec soin : les malades, les estropiés, ceux qui sont couverts d'ulcères et de haillons, désespèrent-ils d'y entrer à cause de leur misère, et sur leurs haillons, sur leurs ulcères et leurs infirmités pour y être reçus ? Ne pensent-ils pas que la porte d'une maison destinée à recevoir tous les misérables ne sera point fermée aux plus misérables de tous ? C'est ainsi que le nombre et l'énormité de mes péchés ne me décourage point, de même que ce pauvre ne serait point découragé par sa misère. Quelque grands qu'ils soient, ces péchés, bien loin de m'exclure de la miséricorde de Dieu, ils me laissent au contraire tout le droit que j'ai d'y prétendre et de l'invoquer. Parce qu'ils sont énormes et sans nombre, je dis plus volontiers : Mon Dieu ! Sauvez-moi, délivrez-moi. Si je suis le plus grand de tous les pécheurs, c'est en cela, Seigneur, que vous montrerez plus glorieusement toute l'étendue de votre miséricorde, et la puissance de votre rédemption.
Traité de la Confiance en la Miséricorde de Dieu (2° Partie, X)

A visiter : Traité de la Confiance en la Miséricorde de Dieu (reproduction intégrale)


Saint Paul de la Croix (1694-1775)

Beaucoup tombent dans le découragement lorsqu'ils viennent à commettre des fautes. Quand vous sentirez naître en vous un sentiment si lâche, pensez que toutes vos fautes, comparées à la bonté divine, sont moins qu'un fil d'étoupe qu'on jetterait dans une mer de feu.
...
Celui qui se relève après ses chutes avec une grande confiance en Dieu, devient, entre les mains du Souverain Maître, un instrument propre à opérer de grandes choses.


Abbé Barthélémy Baudrand (1701-1787)

Seigneur, si je ne consultais que ma faiblesse et mon inconstance, ce ne serait pas sans raison que je craindrais de violer à la première occasion les promesses que j'ai faites de ne vivre que pour vous ; mais, dans tous les combats que j'aurai à soutenir contre mes passions et mes malheureux penchants au vice, j'espèrerai en vous. Rien ne sautait nous nuire, si vous combattez avec nous. Vous connaissez mes besoins et mes misères : si la nouvelle voie où vous désirez me faire marcher, offre trop de difficultés à ma faiblesse, et que la lassitude me décourage, vous me porterez sur vos ailes, vous me mettrez sur vos épaules comme le bon pasteur, vous ne vous éloignerez pas de moi. Cette confiance, qui me soutient, ne sera pas confondue, parce que je ne la mets pas en moi-même, mais dans vos miséricordes. J'ai éprouvé si souvent votre secours dans mes tentations et mes peines ; j'ai trouvé tant de consolation et de force en m'adressant à vous et en réclamant votre protection, que votre bonté ne sera pas importunée, si je redouble aujourd'hui mes cris et mes supplications. Vos faveurs passées sont pour moi des gages bien consolants de celles que j'attends de votre infinie bonté. Cette confiance seule n'est-elle pas déjà même le secours que je vous demande ! N'est-ce pas vous seul, ô mon Dieu ! qui la mettez dans mon cœur ? N'est-ce pas vous seul qui me faites sentir mon impuissance et le besoin que j'ai de votre grâce ?
Oui, grand Dieu ! toute la force qui me rassure, c'est que je reconnais devant vous ma faiblesse, et que j'attends tout de vos miséricordes infinies. Cette dépendance, loin de m'être à charge, fait toute ma consolation comme ma sûreté. Qu'il est doux, grand Dieu ! de vivre toujours sous votre main ; de ne pouvoir agir et nous mouvoir que sous les regards et par les soins de votre bonté paternelle ! Vous savez quel est le fond de misère et de dépravation que je porte en moi. Seigneur, ne refusez pas de guérir mon âme qui est malade par les habitudes du péché. Car où pourrais-je me conduire moi-même, sinon dans un précipice ? La fermeté que nous témoignons est plus souvent une audace qu'une véritable force, parce qu'elle est présomptueuse, et qu'au lieu de s'appuyer sur vous, mon Dieu, qui rendez forts les plus faibles, elle n'est fondée que sur nous-mêmes qui ne sommes qu'infirmité. Apprenez-moi à n'espérer que de votre grâce ce que j'ai tant de fois espéré en vain de mes propres forces.
Gémissements d'une âme pénitente, tirés de l'Ecriture sainte et des Saints Pères, Quatrième Partie, ch. VIII, G.-J. Albanel, Paris, 1843.


Abbé Charles-François Lhomond (1727-1794)

Quelle consolation pour une âme de se dire à elle-même : il est vrai que j'ai péché et que j'ai mérité l'enfer ; mais, par la miséricorde de Dieu, j'en ai reçu l'absolution, et j'ai lieu d'espérer que mes péchés m'ont été remis. Prenez bien garde cependant d'abuser de la miséricorde de votre Dieu, et d'en prendre occasion de pécher plus librement : Quoi ! vous l'offenseriez, parce qu'il est toujours disposé à vous pardonner ? Vous seriez méchant, parce qu'il est infiniment bon ? Ne vous y trompez pas, cet abus de la miséricorde de Dieu est le crime qui l'irrite le plus ; et Dieu qui pardonne toujours à ceux qui s'approchent, comme il faut, du Sacrement de la réconciliation, pourrait ne pas vous laisser le temps d'y recourir. Combien de jeunes gens que la mort a surpris dans le péché ! Qui vous a dit que vous ne seriez pas surpris comme eux ?
Malheur à moi, ô mon Dieu, si la passion m'aveuglait au point de me livrer au péché dans l'espérance de m'en confesser et d'en obtenir la rémission ! Je me souviendrai de votre miséricorde ; et comment pourrais-je l'oublier, après en avoir tant de fois éprouvé les effets ? Je me souviendrai de votre miséricorde, pour m'exciter à vous servir avec fidélité, et non pas pour vous offenser avec plus de liberté. Oui, mon Dieu, votre miséricorde est infinie : combien de fois ne l'avez-vous pas exercée à mon égard ! combien de péchés ne m'avez-vous pas pardonnés ! Vous pouviez m'abandonner à la sévérité de votre justice : je le méritais. Vous avez eu pitié de moi, ô mon Dieu ; dans mon égarement même vous m'avez prévenu ; vous m'avez recherché ; et lorsque je suis revenu à vous, vous m'avez reçu avec la bonté d'un père, et vous m'avez tout pardonné. Je me souviendrai de votre miséricorde, pour la bénir et non pas pour en abuser ; je m'en souviendrai pour considérer combien mon âme vous a été chère jusqu'à présent, et combien elle vous l'est encore ; je m'en souviendrai, pour apprendre ce que je dois à l'amour d'un Dieu qui veut me sauver, tout pécheur que je suis. Voilà, Seigneur, à quoi doit me servir la vue de votre miséricorde ; voilà l'usage que je veux en faire.
Doctrine chrétienne en forme de lectures de piété, 23° lecture, Chez Rusand, Lyon, 1808.


Saint Seraphim de Sarov (1759-1833)

Un homme, tombé après avoir été dans la grâce, peut-il se relever ensuite ? Oui.
Exemple – cet anachorète qui, étant allé puiser de l'eau à la fontaine y rencontra une femme avec laquelle il tomba dans le péché. Rentré chez lui, tout en se rendant compte de la faute commise, il continua néanmoins à vivre en ascète, malgré les conseils du Malin qui tâchait de le détourner de sa voie sous prétexte qu'il avait péché. Dieu fit connaître ce cas à un ancien, le chargeant d'aller louer le jeune moine pour sa victoire sur le démon.
Quand nous nous repentons sincèrement de nos fautes en nous tournant vers Notre-Seigneur Jésus-Christ de tout notre cœur, Il se réjouit et invite à la fête tous les esprits amis, leur montrant la drachme retrouvée…
N'hésitons donc pas à nous tourner vers notre miséricordieux Seigneur, sans nous adonner ni à l'insouciance, ni au désespoir. Le désespoir fait la plus grande joie du démon. C'est le péché mortel dont parle l'Ecriture (1 Jn 6, 16).
Irina Gorainoff, Seraphim de Sarov, Abbaye de Bellefontaine, Spiritualité orientale n°11, 1976.

A visiter : Seraphim de Sarov


Sainte Madeleine Sophie Barat (1779-1865)

Si le monde connaissait la beauté de Jésus, s'il savait combien son Cœur est brûlant d'amour pour nous, il ne pourrait s'empêcher de l'aimer. Quelle folie que de vouloir mettre des bornes à l'infinie miséricorde de Dieu !
Extrait des Lettres, Vie de la Bienheureuse, Montréal, Librairie Beauchemin, 1913.


Saint Curé d'Ars (1786-1859)

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé, elle entraîne les cœurs sur son passage.
...
Ce n'est pas le pécheur qui revient à Dieu pour lui demander pardon ; mais c'est Dieu lui-même qui court après le pécheur et qui le fait revenir à Lui.
...
Si le pécheur s'égare davantage, ce tendre Père ne cesse de le poursuivre par sa grâce.


Dom Columba Marmion (1858-1923)

« Je pourrais tirer gloire de tout cela, mais je préfère bien volontiers me glorifier dans ma faiblesse, afin qu'habite en moi la force du Christ. »
Voilà le mot de l'humilité. Ce n'est ni dans ses talents, ni dans ses œuvres multiples, ni dans les souffrances endurées, les travaux accomplis, les dons reçus, mais dans ses infirmités et dans ses faiblesses, que saint Paul se glorifie.
Nie-t-il donc ses bonnes œuvres? Au contraire, il en trace le tableau comme nul apôtre ne l'a jamais fait, mais il en renvoie la gloire à Dieu : « La grâce de Dieu a travaillé avec moi; elle n'a pas été vaine en moi, cette grâce, mais sans elle je n'aurais rien pu faire. »
Fait-il fi des dons de Dieu? Oh! non : « Pour nous, dit-il, nous avons reçu l'Esprit qui vient de Dieu, afin que nous connaissions les dons que Dieu nous a faits par sa grâce. »
Nous devons nourrir les mêmes sentiments que le grand apôtre : nous glorifier de nos faiblesses, parce qu'elles sont un titre à la miséricorde de Dieu. C'est là l'humilité : faire valoir aux yeux de Dieu, notre misère, notre faiblesse; pour cela, les connaître, les étaler devant Dieu.
L'humilité élargit l'abîme de notre faiblesse, pour que la grâce du Christ surabonde en nous.
Le Christ, idéal du moine, Maredsous - Desclée de Brouwer, Paris, 1939.

Plus je lis et médite les saintes Écritures, plus je fais oraison, plus aussi je vois que la conduite de Dieu à notre égard est faite toute de miséricorde : Non volentis neque currentis, sed miserentis est Dei.
Cette miséricorde de Dieu, c'est la Bonté infinie se répandant dans les cœurs des misérables. Nous trouvons partout la confirmation de cette façon d'agir de Dieu. Quand je récite l'office divin, il me semble voir jaillir presque de chaque verset des Psaumes une lumière qui nous parle de la miséricorde divine.
J'ai l'habitude de m'unir à Jésus-Christ, en répétant très souvent dans le fond de mon cœur : « Mon Jésus, miséricorde! »
Un Maître de la vie spirituelle, Maredsous - Desclée de Brouwer, Paris, 1941.

Une pensée qui doit vous aider et vous encourager est que tout ce que Dieu fait pour nous est un effet de sa miséricorde : In aeternum misericordia aedificabitur in caelis : « Dieu édifie dans le ciel un monument éternel à sa miséricorde dans le ciel. » Les pierres de ce monument sont les miséreux qui attirent la miséricorde par leur misère. Car la miséricorde est la bonté en face de la misère. La pierre fondamentale de ce monument est le Christ qui a épousé toutes nos misères : Vere languores nostros ipse tulit et dolores nostros ipse portavit. Il les divinise et leur donne un mérite et une valeur immenses aux yeux de son Père. Si tous les matins, vous unissez vos fatigues, vos langueurs, vos souffrances de tout genre avec celles de Jésus-Christ, il les assumera et les rendra siennes. [...]
C'est une grande grâce que de comprendre ceci et de suivre Jésus dans ses langueurs. Rien ne peut davantage attirer les faveurs et les miséricordes divines comme cette union patiente de nos peines et de nos faiblesses à celles du Christ.
Comme sujet d'examen, prenez l'acceptation patiente et pleine d'amour des fatigues, des contrariétés et peines de votre vie. De cette façon, votre vie deviendra un cri continuel auprès du Cœur du Père céleste.
L'union à Dieu (lettre à une religieuse missionnaire p.108-109), Maredsous - Desclée de Brouwer, Paris, 1937.

Tout ce que Dieu fait pour nous est l'effet de sa miséricorde. La misère en face de la bonté provoque la miséricorde, c'est-à-dire rend le cœur de la bonté « misérable » tant que celle-ci ne nous a pas soulagés. Nous sommes des miséreux et nos misères unies à celles de Jésus crient vers notre Père céleste. C'est une prière continuelle pourvu que nous acceptions avec patience et résignation les peines, les fatigues, les contrariétés de tous les moments.
L'union à Dieu (lettre à une personne du monde p.111), Maredsous - Desclée de Brouwer, Paris, 1937.

Lorsque Dieu nous découvre l'abîme de notre misère, il faut toute la force du Saint-Esprit, toute notre confiance dans l'amour de notre Père céleste, toute notre foi dans le sang de Jésus-Christ pour ne pas être écrasé par le poids de notre faiblesse. Et pourtant ce qui glorifie Dieu, c'est lorsque, en pleine connaissance de notre misère, nous nous obstinons à espérer dans son amour. [...]
Depuis un certain temps Dieu me fait voir dans une lumière magnifique, que tout le plan de sa Majesté, toute son « économie » envers nous est une « économie » de miséricorde. Ce sont nos misères qui, unies aux souffrances et aux infirmités de Jésus-Christ, attirent toutes les grâces qu'Il nous donne.
L'abîme de nos misères est bien grand, plus grand encore que nous ne le pensons, mais celui de la miséricorde de Dieu est infini comme Dieu lui-même. Si nous étalons devant lui notre âme avec toutes ses infirmités et ses fautes, son regard divin pénètre cet abîme dont nous ne voyons pas le fond. Il va jusque dans ses replis les plus cachés, et nous apporte force et lumière. Il n'y a que ce regard divin qui puisse pénétrer jusqu'au plus intime de notre être pour sonder la profondeur de nos maux. Dieu seul aussi peut y porter remède, et soyons assurés qu'il le fera.
L'union à Dieu (lettres à une personne du monde, p.132-133), Maredsous - Desclée de Brouwer, Paris, 1937.

Rien ne glorifie tant le Bon Dieu qu'une âme qui, tout en voyant son néant et sa misère, se confie dans les mérites de Jésus-Christ et dans la miséricorde de notre Père céleste. Les âmes qui ne connaissent pas leur misère se croient bonnes et agréables à Dieu à cause de leur bonté personnelle. Elles ne sentent pas le besoin extrême de Jésus ; elles donnent peu de gloire à Dieu. Jésus est notre tout. Il est le complément de notre misère, de notre pauvreté, et il se donne à ceux qui sont « pauvres d'esprit ».
L'union à Dieu (lettre à une personne du monde, p.154), Maredsous - Desclée de Brouwer, Paris, 1937.

Plus on est pauvre, plus les richesses ineffables du Christ trouvent leur place en nous. Notre misère, connue et avouée, attire ses largesses.
L'union à Dieu (lettre à une personne du monde, p.156), Maredsous - Desclée de Brouwer, Paris, 1937.


Marie-Aimée de Jésus (Dorothée Quoniam, 1839-1874)

Vous m'avez plongée dans une fournaise d'amour, vous m'avez noyée dans une mer d'amour, et cette mer, c’est votre sein ! Mon âme est le but de vos flèches, vous ajoutez blessures sur blessures, la joie me navre, la douleur m'enchante, vos chaînes me rendent libre, et cette liberté me captive !... La faim que j'ai de vous ô Dieu, me fait vivre, et le rassasiement que j'ai en vous me fait mourir !
Comment donc, ô Grandeur, ô Majesté souveraine, vous dirai-je avec ma séraphique Mère, mais avec bien plus de raison qu'elle, comment donc avez-vous oublié si vite ce que j'ai été et ce que je suis ? Je veux vous chanter un cantique plein de soupirs, composé du souvenir de vos bienfaits et de l'accusation de mes iniquités, je veux vous chanter un cantique comme la Vierge, votre Mère, dans l'extase de son humilité, vous chanta le sien, composé de l'énumération de ses privilèges et de l'aveu de sa bassesse. Non, non, ces deux sentiments ne sont points incompatibles, et ils seraient bien suspects l’un sans l’autre.
Vous m'entendrez, Seigneur, et vous daignerez m'applaudir et me bénir ! Les anges m'entendront et, saisis d’étonnement, ils exalteront votre miséricorde, qui brille si fort en ma misère ! Les démons m'entendront et ils frémiront de rage, eux, si élevés en gloire, et maintenant si abaissés, mai non encore assez pour que je me place au-dessous d'eux ! Les créatures peut-être m'entendront et elles apprendront à ne jamais désespérer de votre infinie bonté, qui se montre si visiblement en pardonnant, en oubliant toute mon ingratitude ; elles apprendront encore à vous aimer et à me plaindre de vous aimer si peu. Et moi, j'apprendrai à me haïr de plus en plus !
A l'Ecole de l'Amour, édition par Rozenn B. et jesusmarie.com

Voilà Jésus-Christ dépeint par Jésus-Christ. Père plein de tendresse pour le pécheur, père comme il n'y en a pas sur terre, père qui ne peut être autre que le Fils de Dieu. Depuis qu'il a créé l'homme libre et qu'il lui a vu faire un si mauvais usage de sa liberté, il l'a suivi pas à pas dans ses égarements ; il a mesuré toute l'étendue de son malheur. Aucun détail ne lui a échappé : la famine, la servitude, la dureté de Satan auquel il s'était misérablement vendu, l'état pitoyable dans lequel le péché l'avait réduit ; ses honteuses aspirations, le souvenir de son ancien bonheur, son repentir, ses démarches vers lui. Il l'a prévenu ; tout méconnaissable qu'il était, il l'a reconnu ; il s'est précipité du haut des cieux sur la route de la terre, il s'est jeté à son cou et l'a embrassé en s'unissant à sa nature. Il l'a revêtu de grâce, comblé d'honneur et de gloire ; il l'a fait asseoir à ses côtés, dans sa propre maison, et en attendant qu'il s'immole lui-même pour lui servir de nourriture, il mange avec lui. Miséricorde de mon Dieu ! Vous avez en Jésus-Christ un chantre digne de vous ! Ses accents font vibrer toutes les fibres de nos cœurs, nous émeuvent jusqu'aux entrailles, nous touchent jusqu'à l'effusion des pleurs. Non seulement nous venons d'entendre les accents de cette miséricorde, mais nous la voyons personnifiée en celui-là même qui l'a chantée, comme le Verbe de Dieu pouvait seul le faire. Jésus est là, entouré des publicains et des pécheurs repentants ; ils sont dans la paix, jésus est dans la joie. Mais voici que deux voix discordantes viennent troubler la fête et attrister le festin : l'orgueil et la jalousie. L'orgueil s'étonne, la jalousie réclame ; l'orgueil ne veut pas reconnaître Jésus-Christ pour Dieu, et dit : « Cet homme » reçoit des pécheurs, et mange même avec eux ; la jalousie ne veut pas reconnaître le pécheur pour son frère, et dit : « Votre fils ». La miséricorde répond : « Ne fallait-il pas se réjouir dans un festin parce que ton frère était mort et qu'il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé. » La miséricorde s'excuse sur la charité qui veut recevoir les pécheurs et manger avec eux. Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! Faut-il que de telles pages soient lues par un si petit nombre ! faut-il que tant de cœurs restent insensibles à une telle charité ! Ce ne sont pas seulement des larmes qu'il faut verser, ce sont des cris qu'il faut pousser, c'est à une violente douleur qu'il faut se livrer, car l'amour n'est pas connu, l'amour n'est pas aimé !
Vos pasteurs, ô mon Seigneur, suivent admirablement l'exemple que vous leur avez donné, car nous les voyons sans cesse laisser les quatre-vingt-dix-neuf brebis fidèles pour courir après la centième qui s'égare ; ils laissent les brebis saines pour assister les malades ; celles qui sont dans la paix, pour rassurer celles qui sont dans le trouble ; celles qui sont dans la joie, pour consoler celles qui sont dans la peine. Pourquoi les âmes auxquelles la direction des autres n'est pas attribuée ne s'inspireraient-elles pas des mêmes sentiments, et ne donneraient-elles pas dans la prière, la préférence aux plus pressants besoins ? L'âme avancée dans la virilité du Christ, c'est-à-dire dans sa transformation en lui, ne peut voir une âme en nécessité, sans lui porter aussitôt remède et consolation, devant Dieu, si elle ne le peut autrement. Là où les autres ne voient rien, celle-ci, à l'aide de sa charité, découvre une larme à essuyer, une plaie à guérir, une douleur à calmer. Le plus souvent, l'âme qu'elle a secourue ne sait d'où lui est venu le secours ; celle qui a prié ignore le fruit de son intercession ; l'une oublie ce qu'elle a reçu, l'autre ce qu'elle fait, mais vous, Seigneur, vous vous en souvenez, et vous vous en souviendrez éternellement.
Sœur Marie-Aimée de Jésus, N.-S. Jésus-Christ étudié dans le Saint Evangile, sa vie dans l'âme fidèle, t. V, ch. LXXVI, Carmel de Créteil, 1909.

A visiter : Sœur Marie-Aimée de Jésus




Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus (1873-1897)

Ce qui offense Jésus, ce qui le blesse au cœur c'est le manque de confiance !...
Lettre à Marie Guérin, 30 mai 1889 (LT 92).

Je ne puis craindre un Dieu qui s'est fait pour moi si petit... je l'aime !… car il n'est qu'amour et miséricorde !
Lettre à l'Abbé Bellière, 25 août 1897 (LT 266).

A tout péché miséricorde, et le bon Dieu est assez puissant pour donner du fond même aux gens qui n'en ont pas.
Lettre à Céline, 13 août 1893 (LT 147).

Ce qui plaît au bon Dieu, c'est de me voir aimer ma petitesse et ma pauvreté, c'est l'espérance aveugle que j'ai en sa miséricorde... Voilà mon seul trésor.
Lettre à Sœur Marie du Sacré-Cœur, 17 sept. 1896 (LT 197).

Vous aimez St Augustin, Ste Madeleine, ces âmes auxquelles « Beaucoup de péchés ont été remis parce qu'elles ont beaucoup aimé ». Moi aussi je les aime, j'aime leur repentir, et surtout… leur amoureuse audace ! Lorsque je vois Madeleine s'avancer devant les nombreux convives, arroser de ses larmes les pieds de son Maître adoré, qu'elle touche pour la première fois ; je sens que son cœur a compris les abîmes d'amour et de miséricorde du Cœur de Jésus, et que toute pécheresse qu'elle est ce Cœur d'amour est non seulement disposé à lui pardonner, mais encore à lui prodiguer les bienfaits de son intimité divine, à l'élever jusqu'aux plus hauts sommets de la contemplation.
Ah ! mon cher petit Frère, depuis qu'il m'a été donné de comprendre aussi l'amour du Cœur de Jésus, je vous avoue qu'il a chassé de mon cœur toute crainte. Le souvenir de mes fautes m'humilie, me porte à ne jamais m'appuyer sur ma force qui n'est que faiblesse, mais plus encore ce souvenir me parle de miséricorde et d'amour.
Comment lorsqu'on jette ses fautes avec une confiance toute filiale dans le brasier dévorant de l'Amour, comment ne seraient-elles pas consumées sans retour ?
Lettre à l'Abbé Bellière, 21 juin 1897 (LT 247).

Je sais qu'il faut être bien pur pour paraître devant le Dieu de toute Sainteté, mais je sais aussi que le Seigneur est infiniment Juste et c'est cette justice qui effraye tant d'âmes qui fait le sujet de ma joie et de ma confiance. Etre juste, ce n'est pas seulement exercer la sévérité pour punir les coupables, c'est encore reconnaître les intentions droites et récompenser la vertu. J'espère autant de la justice du Bon Dieu que de sa miséricorde. C'est parce qu'il est juste qu' « Il est compatissant et rempli de douceur, lent à punir et abondant en miséricorde. Car il connaît notre fragilité, Il se souvient que nous ne sommes que poussière. Comme un père a de la tendresse pour ses enfants, ainsi le Seigneur a compassion de nous (1)…».
(1) : Ps CII, 8, 14, 13.
Lettre au Père Roulland, 9 mai 1897 (LT 226).

A moi Il a donné sa Miséricorde infinie et c'est à travers elle que je contemple et adore les autres perfections Divines !... Alors toutes m'apparaissent rayonnantes d’amour, la Justice même (et peut-être encore plus que toute autre) me semble revêtue d’amour... Quelle douce joie de penser que le Bon Dieu est Juste, c'est-à-dire qu'Il tient compte de nos faiblesses, qu'Il connaît parfaitement la fragilité de notre nature. De quoi donc aurais-je peur ? Ah ! le Dieu infiniment juste qui daigna pardonner avec tant de bonté toutes les fautes de l'enfant prodigue, ne doit-Il pas être Juste aussi envers moi qui « suis toujours avec Lui » ?…
Manuscrit A, 84r°.
Variante de l'Histoire d'une âme :
Quelle douce joie de penser que le Seigneur est juste, c'est-à-dire qu'il tient compte de nos faiblesses, qu'il connaît parfaitement la fragilité de notre nature ! De quoi donc aurais-je peur ? Le bon Dieu infiniment juste, qui daigne pardonner avec tant de miséricorde les fautes de l'enfant prodigue, ne doit-il pas être juste aussi envers moi qui suis toujours avec lui (1) ?
(1) : Luc XV, 31.
Histoire d'une âme, ch. IX.
Cette année le 9 juin fête de la Sainte Trinité, j'ai reçu la grâce de comprendre plus que jamais combien Jésus désire être aimé.
Je pensais aux âmes qui s'offrent comme victimes à la Justice de Dieu afin de détourner et d'attirer sur elles les châtiments réservés aux coupables, cette offrande me semblait grande et généreuse, mais j'étais loin de me sentir portée à la faire. « O mon Dieu ! m'écriai-je au fond de mon cœur, n'y aura-t-il que votre Justice qui recevra des âmes s'immolant en victimes ?... Votre Amour Miséricordieux n'en a-t-il pas besoin lui aussi ?... De toutes parts il est méconnu, rejeté ; les cœurs dans lesquels vous désirez le prodiguer se tournent vers les créatures leur demandant le bonheur avec leur misérable affection, au lieu de se jeter dans vos bras et d'accepter votre Amour infini… O mon Dieu ! votre Amour méprisé va-t-il rester en votre Cœur ? Il me semble que si vous trouviez des âmes s'offrant en victimes d'holocaustes à votre Amour, vous les consumeriez rapidement, il me semble que vous seriez heureux de ne point comprimer les flots d'infinies tendresses qui sont en vous… Si votre Justice aime à se décharger, elle qui ne s'étend que sur la terre, combien plus votre Amour Miséricordieux désire-t-il embraser les âmes, puisque votre Miséricorde s'élève jusqu'aux Cieux… O mon Jésus ! que ce soit moi cette heureuse victime, consumez votre holocauste par le feu de votre Divin Amour !... »
Manuscrit A, 84 r° (suite).

Je voudrais essayer de vous faire comprendre par une comparaison bien simple combien Jésus aime les âmes même imparfaites qui se confient en Lui : Je suppose qu'un père ait deux enfants espiègles et désobéissants, et que venant pour les punir il en voie un qui tremble et s'éloigne de lui avec terreur, ayant pourtant au fond du cœur le sentiment qu'il mérite d'être puni ; et que son frère, au contraire, se jette dans les bras du père en disant qu'il regrette de lui avoir fait de la peine, qu'il l'aime et que, pour le prouver, il sera sage désormais, puis si cet enfant demande à son père de le punir par un baiser, je ne crois pas que le cœur de l'heureux père puisse résister à la confiance filiale de son enfant dont il connaît la sincérité et l'amour. Il n'ignore pas cependant que plus d'une fois son fils retombera dans les mêmes fautes mais il est disposé à lui pardonner toujours, si toujours son fils le prend par le cœur…
Je ne vous dis rien du premier enfant, mon cher petit frère, vous devez comprendre si son père peut l'aimer autant et le traiter avec la même indulgence que l'autre…
Lettre à l'Abbé Bellière, 18 juillet 1897 (LT 258).

Je t'assure que le Bon Dieu est bien meilleur que tu le crois. Il se contente d’un regard, d'un soupir d’amour... Pour moi je trouve la perfection bien facile à pratiquer, parce que j'ai compris qu'il n'y a qu'à prendre Jésus par le Cœur... Regarde un petit enfant, qui vient de fâcher sa mère en se mettant en colère ou bien en lui désobéissant ; s'il se cache dans un coin avec un air boudeur et qu'il crie dans la crainte d'être puni, sa maman ne lui pardonnera certainement pas sa faute, mais s'il vient lui tendre ses petits bras en souriant et disant : « Embrasse-moi, je ne recommencerai plus. » Est-ce que sa mère pourra ne pas le presser contre son cœur avec tendresse et oublier ses malices enfantines ?... Cependant elle sait bien que son cher petit recommencera à la prochaine occasion, mais cela ne fait rien, s'il la prend encore par le cœur jamais il ne sera puni...
Lettre à Léonie, 12 juillet 1896 (LT 191).

Ah ! si toutes les âmes faibles et imparfaites sentaient ce que sent la plus petite de toutes les âmes, l'âme de votre petite Thérèse, pas une seule ne désespérerait d'arriver au sommet de la montagne de l'amour, puisque Jésus ne demande pas de grandes actions, mais seulement l'abandon et la reconnaissance…
Manuscrit B, 1 v°.

Je suis tout à fait de votre avis, « Le Cœur divin est plus attristé des mille petites indélicatesses de ses amis que des fautes même graves que commettent les personnes du monde » mais, mon cher petit frère, il me semble que c'est seulement quand les siens, ne s'apercevant pas de leurs continuelles indélicatesses s'en font une habitude et ne Lui demandent pas pardon, que Jésus peut dire ces paroles touchantes qui nous sont mises dans la bouche par l'Eglise pendant la semaine sainte : « Ces plaies que vous voyez au milieu de mes mains, ce sont celles que j'ai reçues dans la maison de ceux qui m'aimaient ! (1). » Pour ceux qui l'aiment et qui viennent après chaque indélicatesse Lui demander pardon en se jetant dans ses bras, Jésus tressaille de joie, Il dit à ses anges ce que le père de l'enfant prodigue disait à ses serviteurs : « Revêtez-le de sa première robe, mettez-lui un anneau au doigt, réjouissons-nous (2). » Ah ! mon frère, que la bonté, l'amour miséricordieux de Jésus sont peu connus !... Il est vrai que pour jouir de ces trésors, il faut s'humilier, reconnaître son néant, et voilà ce que beaucoup d'âmes ne veulent pas faire...
(1) : Zach. XIII, 6.
(2) : Luc XV, 22.
Lettre à l'Abbé Bellière, 26 juillet 1897 (LT 261).

C'est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l'Amour… La crainte ne conduit-elle pas à la Justice (1) ?
(1) Note ajoutée par Thérèse (dans le texte, elle a biffé "à la Justice") : A la justice sévère telle qu'on la représente aux pécheurs mais ce n'est pas cette Justice que Jésus aura pour ceux qui l'aiment.
Lettre à Sœur Marie du Sacré-Cœur (LT 197).

Oui, je le sens, quand même j'aurais sur la conscience tous les péchés qui se peuvent commettre, j'irais le cœur brisé de repentir me jeter dans les bras de Jésus, car je sais combien Il chérit l'enfant prodigue qui revient à Lui. Ce n'est pas parce que le bon Dieu, dans sa prévenante miséricorde a préservé mon âme du péché mortel que je m'élève à Lui par la confiance et l'amour.
Conclusion du Manuscrit C.

On pourrait croire que c'est parce que je n'ai pas péché que j'ai une confiance si grande dans le bon Dieu. Dites bien, ma Mère, que, si j'avais commis tous les crimes possibles, j'aurais toujours la même confiance, je sens que toute cette multitude d'offenses serait comme une goutte d'eau jetée dans un brasier ardent. Vous raconterez ensuite l'histoire de la pécheresse convertie qui est morte d'amour ; les âmes comprendront tout de suite, car c'est un exemple si frappant de ce que je voudrais dire, mais ces choses ne peuvent s'exprimer.
Derniers entretiens, Carnet jaune, 11 juillet 1897.
Variante de l'Histoire d'une âme (cf. note 180 des Œuvres complètes) :
Ce n'est pas parce que j'ai été préservée du péché mortel que je m'élève à Dieu par la confiance et l'amour. Ah ! je le sens, quand même j'aurais sur la conscience tous les crimes qui se peuvent commettre, je ne perdrais rien de ma confiance ; j'irais, le cœur brisé de repentir, me jeter dans les bras de mon Sauveur. Je sais qu'il chérit l'enfant prodigue, j'ai entendu ses paroles à Sainte Madeleine, à la femme adultère, à la Samaritaine. Non, personne ne pourrait m'effrayer ; car je sais à quoi m'en tenir sur son amour et sa miséricorde. Je sais que toute cette multitude d'offenses s'abîmerait en un clin d'œil, comme une goutte d'eau jetée dans un brasier ardent.
Il est rapporté dans la Vie des Pères du désert, que l'un d'eux convertit une pécheresse publique dont les désordres scandalisaient la contrée entière. Cette pécheresse touchée de la grâce suivait le saint dans le désert pour y accomplir une rigoureuse pénitence, quand, la première nuit du voyage, avant même d'être rendue au lieu de sa retraite, ses liens mortels furent brisés par l'impétuosité de son repentir plein d'amour ; et le solitaire vit au même instant son âme portée par les Anges dans le sein de Dieu.
Voilà un exemple bien frappant de ce que je voudrais dire, mais ces choses ne peuvent s'exprimer…
Histoire d'une âme, ch. XI.
Une novice lui demandait si Notre-Seigneur n'était pas mécontent d'elle en voyant toutes ses misères. Elle lui répondit :
« Rassurez-vous : Celui que vous avez pris pour Epoux a certainement toutes les perfections désirables ; mais, si j'ose le dire, il a en même temps une grande infirmité : c'est d'être aveugle ! Il est une science qu'il ne connaît pas : c'est le calcul. Ces deux grands défauts, qui seraient des lacunes fort regrettables dans un époux mortel, rendent le nôtre infiniment aimable.
S'il fallait qu'il y vît clair et qu'il sût calculer, croyez-vous qu'en présence de tous nos péchés, il ne nous ferait pas rentrer dans le néant ? Mais non, son amour pour nous le rend positivement aveugle !
Voyez plutôt : si le plus grand pécheur de la terre, se repentant de ses offenses au moment de la mort, expire dans un acte d'amour, aussitôt, sans calculer d'une part les nombreuses grâces dont ce malheureux a abusé, de l'autre tous ses crimes, il ne voit plus, il ne compte plus que sa dernière prière, et le reçoit sans tarder dans les bras de sa miséricorde.
Mais, pour le rendre ainsi aveugle et l'empêcher de faire la plus petite addition, il faut savoir le prendre par le cœur ; c'est là son côté faible… »
Conseils et souvenirs.

Lui ayant fait de la peine, une novice allait lui demander pardon. Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus parut très émue et lui dit :
« Si vous saviez ce que j'éprouve. Je n'ai jamais aussi bien compris avec quel amour Jésus nous reçoit, quand nous lui demandons pardon après une faute ! Si moi, sa pauvre petite créature, j'ai senti tant de tendresse pour vous, au moment où vous êtes revenue à moi, que doit-il se passer dans le cœur du bon Dieu quand on revient vers lui ?... Oui, certainement, plus vite encore que je ne viens de le faire, il oubliera toutes nos iniquités pour ne plus jamais s'en souvenir… Il fera même davantage : il nous aimera plus encore qu'avant notre faute !... »
Conseils et souvenirs.

Références bibliographiques :
Thérèse de Lisieux - Oeuvres complètes
Cerf / DDB, 1996.
Histoire d'une âme écrite par elle-même
Carmel de Lisieux, 1908.
Pensées de Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus
Carmel de Lisieux, 1908.

A visiter : Le Carmel en France – Thérèse de Lisieux


Louise Marguerite Claret de La Touche (1868-1915)
(déclarée vénérable par Benoît XVI le 26 juin 2006)

Ta miséricorde ! oh ! qu'elle est douce au cœur infidèle et méprisable ! Ta miséricorde, c'est le salut et la vie de l'âme pécheresse. Ta miséricorde, ô Jésus, c'est mon refuge et mon espérance ; c'est ton Cœur ouvert, ton Amour recréant et vivifiant ; c'est Toi-même, Sauveur et rédempteur ! O Jésus, douce Miséricorde, fais-moi t'aimer jusqu'à mourir !
...
Hier, après la sainte communion, intimement unie à Jésus, je voyais dans son Cœur sacré ses désirs de Dieu : il veut que l'Amour se répande, qu'il embrase le monde et qu'il le renouvelle. Ce n'est plus par les eaux d'un nouveau déluge que Dieu veut purifier et régénérer la terre, mais par le feu. Les esprits et les volontés se sont dévoyés ; le monde qui doit être purifié, c'est surtout celui des intelligences et des âmes ; c'est pourquoi le feu que Dieu veut employer est un feu tout spirituel. Il faut que l'Amour et la Miséricorde soient prêchées à toute créature, car le Cœur de Dieu a un immense désir de pardonner ; pour peu qu'il voit d'amour dans un cœur pour répondre au sien, il pardonne… Dieu est Charité : ses œuvres ne sont qu'amour et sa Miséricorde est éternelle et infinie. Un jour, prosternée au pieds de Jésus, je l'appelais l'unique Bien de mon âme, le souverain amour de mon cœur, le trésor infini de toutes les richesses ; et je finis par lui dire : "Mon Jésus, comment voulez-vous que je vous appelle ?" Et il m'a répondu : "Appelle-moi la Miséricorde".
Autobiographie, extraits.

Le Cœur de Jésus est le sanctuaire divin où résident toutes les vertus. Il les possède toutes à un éminent degré. Il est le foyer toujours ardent d'où rayonnent toutes les beautés morales, tous les dons naturels, surnaturels et divins que nos pauvres intelligences pourraient rêver. Parmi toutes les vertus qui demeurent en ce Sacré-Cœur comme dans leur temple particulier, il en est une cependant qui semble être plus spécialement la sienne, sa vertu, son inclination propre : c'est la miséricorde. Oui, la miséricorde est vraiment l'attribut du Cœur de Jésus. […]
Toutes les paroles, tous les actes, tous les divins gestes de cet Amour humanisé, de ce Jésus, portent le cachet de la miséricorde. Elle sort de lui tout naturellement, comme l'eau sort de sa source, comme la chaleur s'échappe du foyer ardent : "Je veux la miséricorde et non les rigueurs de la justice", dit-Il. Son vouloir, c'est d'être miséricordieux. "Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu." Il est venu apporter à la créature déchue des grâces de relèvement et de célestes pardons. C'est pour sauver et non pour juger qu'Il a été envoyé dans le monde. Aussi l'entendons-nous dire à ses apôtres, prompts à demander justice : "Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes !" […]
Oh ! Comme il faut peu pour toucher le Cœur de Jésus et provoquer sa miséricorde ! Une parole de confiance, un appel du pauvre larron crucifié à ses côtés, c'en est assez pour qu'aussitôt Il lui pardonne et lui ouvre le ciel ! En vérité, l'esprit de Jésus, Jésus lui-même, c'est la miséricorde !
La grande mission du prêtre est de révéler aux âmes la miséricorde divine. Toutes, elles ont plus ou moins péché. Toutes, elles sentent, entre la sainteté infinie de Dieu et leur propre misère, un abîme qui leur semble infranchissable, et dont la vue les épouvante. Il y a au fond de toute âme humaine, même lorsque les ténèbres la remplissent, un vestige de vérité qui lui montre l'Etre suprême infiniment saint et souverainement pur. C'est pourquoi, lorsqu'elle se croit criminelle, elle cherche à s'éloigner de Dieu, elle s'efforce de l'oublier, et, impuissante, à anéantir en effet cet Etre divin qui la condamnera, elle veut au moins l'effacer de son propre souvenir et le détruire dans sa pensée. Alors, elle va toujours plus loin dans le mal, et descend dans les abîmes.
Mais quand le miséricordieux amour de son Dieu lui est montré, pour peu qu'elle ait de sincérité, la crainte disparaissant, le repentir prend sa place et la grâce de la réconciliation achève ce que la miséricorde avait commencé. […]
Qu'il est heureux, le prêtre, d'être le ministre d'un Dieu de miséricorde ! Son cœur devrait fondre dans sa poitrine, par les ardeurs d'un inexprimable amour, lorsqu'il se sent le pouvoir de dire, au nom de Jésus, à l'âme pécheresse, ces mots divins : Je t'absous ! Jamais Dieu n'est plus grand que dans ses divins pardons. Jamais le prêtre n'est plus élevé, jamais il n'est plus revêtu de Dieu et plus vraiment Jésus, que lorsqu'il pardonne et qu'il absout.
Le Sacré-Cœur et le Sacerdoce, 1910.


Père Louis Garriguet (1859-1927)

Il semblerait naturel que le bon Dieu, après avoir été gravement offensé par des créatures qu'il a comblées de bienfaits et qui, par conséquent, en péchant se sont rendues coupables de la plus noire ingratitude, les laissât à leur triste sort et attendît que, repentantes, elles reviennent à lui. Nous, nous agirions probablement ainsi ; mais lui est autrement miséricordieux et bon que nous. Ce malheureux qui s'est volontairement éloigné de lui, il ne l'abandonne pas. Il ne se détourne pas de lui, il ne se contente pas d'attendre qu'il lui apporte les excuses et les regrets auxquels il a droit, il prend les devants, il va le chercher, il le conjure de revenir, il lui en fournit les moyens, en un mot il fait tout pour le ramener, comme, dans sa tendresse, il a tout fait pour le retenir.
Il met abondantes à sa disposition les grâces de retour dont il a besoin. Il ne les met pas seulement à sa disposition, il les lui offre, il le presse de les accepter et d'en profiter. Il se tient à la porte de cette pauvre âme, il y frappe sans se lasser, il crie : « O mon fils, rends-moi donc ton cœur ». Les remords, les craintes, les épreuves, les châtiments, les bonnes inspirations, les saints conseils, les avertissements salutaires, les pieux désirs sont autant de moyens dont se sert son amour pour toucher ce cœur et le faire rentrer dans la voie du devoir.
Rien ne le rebute. Ses avances ont beau être repoussées, il les continue ; il en poursuivra le coupable jusque sur le seuil de l'éternité. Il ne cessera ses miséricordieuses instances que quand la mort sera venue les rendre inutiles. Ce n'est que lorsqu'il n'a plus aucun espoir de ramener la brebis perdue, qu'il se résout, désolé, à l'abandonner à son malheureux sort.
Si, cédant à ses appels, elle consent à reprendre le chemin du bercail, il l'y rapporte sur ses épaules pour lui éviter la fatigue de la route. Par ce détail de la parabole Notre Seigneur veut nous indiquer que le bon Dieu aplanit les difficultés du retour au pécheur et enlève toute excuse à un retard de conversion. Quelle tendresse est quel dévouement une pareille conduite ne révèle-t-elle pas ?
Le Bon Dieu, essai théologique sur l'infinie Miséricorde divine, Bloud et Gay, Paris, 1919.


Silouane (1866-1938)

Beaucoup ignorent combien est grande la miséricorde de Dieu ; ils ne se repentent point de leurs péchés et ne veulent pas faire pénitence. Et mon âme est triste et pleure pour eux, parce que je vois leur condamnation.
[…]
Si tu es totalement humilié, tu trouveras la paix parfaite en Dieu. Deux pensées bien différentes peuvent s'élever en nous ; combats-les toutes les deux. L'une dit : Tu es saint ; et l'autre : Tu ne te sauveras pas. Il n'y a rien de vrai dans ces pensées et toutes les deux viennent du Malin.
Alors, pense plutôt : Je suis un grand pécheur, mais Dieu est plein de miséricorde et aime les hommes et Dieu pardonnera mes péchés. Ne te confie pas dans tes œuvres ascétiques, même si tu fais des efforts spirituels très grands. Voici ce que me dit un jour un podvishnik : "Je dois trouver grâce devant Dieu uniquement parce que je fais de nombreuses génuflexions." Mais quand il vint à mourir, il désespéra. Car Dieu n'a pas pitié de nous à cause de nos œuvres, mais par sa seule Bonté.
Silouane, Abbaye de Bellefontaine, Spiritualité Orientale n°5, 1976.

Seigneur miséricordieux, tu vois ma chute et ma douleur ; mais, humblement, j'implore ta clémence : répands sur le pécheur que je suis la grâce de ton Saint Esprit. Son souvenir porte mon esprit à trouver de nouveau ta miséricorde. Seigneur, donne-moi ton humble Esprit pour que je ne perde pas à nouveau ta grâce, et que je ne me lamente pas comme Adam qui pleurait Dieu et le Paradis perdu. [...]
Le Seigneur est miséricordieux ; cela, mon âme le sait, mais le décrire est impossible. Il est infiniment doux et humble, et lorsque l'âme le voit, elle se transforme tout entière en amour de Dieu et du prochain ; elle devient elle-même douce et humble. Mais si l'homme perd la grâce, il pleurera comme Adam lorsqu'il a été chassé du Paradis... Donne-nous, Seigneur, le repentir d'Adam et ta sainte humilité.
Silouane, Ecrits (trad. Eds. Présence 1973, p. 254).

A visiter : Saint Silouane l'Athonite et Archimandrite Sophrony


Sœur Marie-Angélique Millet (1879-1944)

Je suis la Miséricorde Infinie… Infinie !... Tu entends ! Si ton cœur limitait sa confiance qu'il me ferait souffrir !... Tu as des misères de fragilité… Et Moi, J'ai des Plaies d'Amour pour les effacer… Dans la mer de ma Miséricorde, plus grande que le monde, jette tes pécheurs et tes péchés… Je suis plein de pitié, tout est tendre en Moi !... Et tu le sais, ma Compassion de Sauveur est aussi méconnue que mon Amour… J'ai toujours besoin de pardonner et l'on Me croit toujours prêt à punir !... M'aurais-tu cent fois refusé un service, cent fois mendié, n'est-ce pas que tu reviendrais à mon Cœur, avec plus de confiance, la centième fois, que la première ?... Car Je Me suis révélé, tu M'as pris, tu Me connais… Ma Miséricorde, mais elle est inlassable !... Et elle est incomparable pour les « Petits » qui ne savent plus donner que de l'amour à l'amour.
Dis… Ecris… (Troisième petite retraite, 2ème jour), Carmel de Gravigny, Eure, 1944 (3ème édition Résiac, 1981).


Mgr Vladimir I. Ghika (1873-1954)

Comprends l'Indulgence de Dieu – ce n'est pas une confusion, ni une acceptation, ni une tolérance, ni un effacement, ni une fiction. C'est une Rédemption opérée en tout et dans toute la profondeur de chaque chose. N'oublie jamais qu'en Lui la Miséricorde elle-même est Vierge, que la Miséricorde divine est Virginité.
...
La Miséricorde sera toujours plus grande que la misère et la joie de demain plus grande que la peine d'aujourd'hui.
...
L'immense bonté de Dieu est le seul véritable espace de l'Univers, en lequel l'autre espace se loge et s'engouffre.
...
Le temps descend vers nous sur les ailes de la Miséricorde et remonte sur celles de l'espoir.
...
Si rien de ce que je fais, mon Dieu, n'échappe à Votre Jugement, rien de ce que je traverse n'est étranger à Votre Miséricorde et à Votre Amour.
Pensées pour la suite des jours, Beauchesne, Paris, 1936.


Bienheureux Jean XXIII (1881–1963)

Je sens que mon Jésus se fait toujours plus proche de moi. Il a permis ces jours-ci que je tombe à la mer et que je me noie dans la considération de ma misère et de mon orgueil, pour me faire comprendre à quel point j'ai besoin de lui. Au moment où je risque d'être submergé, Jésus, marchant sur les eaux, vient à ma rencontre en souriant pour me sauver. Je voudrais lui dire avec Pierre : « Éloignez-vous de moi, Seigneur, car je suis un pécheur » (Lc 5,8), mais je suis devancé par la tendresse de son coeur et par la douceur de ses paroles : « N'aie pas peur » (Lc 5,10).
Oh ! je ne crains plus rien à côté de vous ! Je repose tout contre vous ; pareil à la brebis perdue, j'entends les battements de votre coeur ; Jésus, je suis à vous une fois de plus, à vous pour toujours. Avec vous je suis vraiment grand ; sans vous je ne suis qu'un faible roseau, mais appuyé à vous je suis une colonne. Je ne dois jamais oublier ma misère, non pour trembler sans cesse, mais pour que, malgré mon humilité et ma confusion, je m'approche de votre coeur avec toujours plus de confiance, car ma misère est le trône de votre miséricorde et de votre amour.
Journal de l’âme - 1901-1903, Paris, Ed. du Cerf, 1964.


Saint Padre Pio (1887-1968)

Que l'espérance en la miséricorde de Dieu nous soutienne dans le tumulte des passions et des contrariétés. Courons avec confiance vers le sacrement de pénitence, où le Seigneur nous attend à tout moment avec une tendresse infinie. Et une fois nos péchés pardonnés, oublions-les, car le Seigneur l'a déjà fait avant nous. En admettant même que tu aies commis tous les péchés du monde, le Seigneur te le répète : « Tes nombreux péchés te sont remis parce que tu as beaucoup aimé ».
Seigneur Jésus, tu es toute douceur : comment pourrais-je donc vivre sans toi ? Viens, Seigneur, prendre toi seul possession de mon coeur.
CE, 18.16 ; AD, 54 (trad. Une Pensée, Médiaspaul 1991, p. 63)


Cardinal Journet (1891-1975)

Parce qu'elle est infinie, la miséricorde divine n'a besoin que de notre mendicité.


Gustave Thibon (1903-2001)

La miséricorde de Dieu descend toujours plus bas que ne tombe la misère de l'homme.


Père Marie-Dominique Philippe (1912-2006)

Jésus agit toujours par miséricorde (c'est sa manière d'agir, parce qu'il est miséricordieux), et sa miséricorde s'enracine dans nos cœurs pour que nous puissions, à notre tour, être miséricordieux. Et la plus grande miséricorde n'est pas seulement de pardonner (puisque cet acte est inclus dans la miséricorde), mais de faire de celui à qui on a pardonné quelqu'un qui puisse pardonner à son tour, qui puisse à la fois recevoir la miséricorde de l'autre et exercer la miséricorde à son égard. La miséricorde va donc impliquer ce qu'il y a de plus grand dans notre activité à l'égard des autres : leur apporter un renouveau de vie, un surcroît de vie à partir de leurs fautes, en réponse à leur misère qui nous a permis de nous déloger et d'aller vers eux. Il y a comme un appel…
Jésus a été infiniment miséricordieux à la Croix. A la Croix, sa miséricorde regarde tous les pécheurs et fait d'eux des hommes qui, eux aussi, feront miséricorde. Car la miséricorde consiste à faire des hommes miséricordieux après leur avoir pardonné. Comme je l'ai dit, elle ne consiste pas seulement à pardonner et à remettre l'autre "en état", elle implique que cette miséricorde ait une fécondité, qu'elle engendre d'autres êtres qui à leur tour seront miséricordieux.
Un feu sur la terre, Mame, Paris, 2001.

La Très Sainte Vierge nous est donnée comme le chef-d'œuvre de la miséricorde de Dieu, comme celle qui a pour fonction primordiale de nous faire entrer par cette porte étroite et royale de la miséricorde du Père.
Puisque Marie est vraiment le chef-d'œuvre de cette miséricorde, elle est, pour ainsi dire, la miséricorde du Père personnifiée. Notre Seigneur est source de la miséricorde pour nous, mais dans ses relations intimes avec le Père, il est comme au-delà de la miséricorde parce qu'il est le fils unique du Père ; or vis-à-vis du Fils, le Père n'a pas une attitude de miséricorde mais une attitude d'amour.
Marie, elle, est créature et pure créature. La miséricorde l'enveloppe donc dès le point de départ, totalement et complètement ; toute sa vie elle ne cesse de recevoir en plénitude la miséricorde du Père. Cette miséricorde est destinée à l'introduire dans l'amour, mais c'est un amour qui prend une nuance spéciale, car lorsque l'amour de Dieu est communiqué à une créature, il prend nécessairement la forme d'un amour de miséricorde.
Trois Mystères de Miséricorde, Ed. Parole et Silence, 2000.

A visiter : Le site de la Communauté Saint-Jean


Bernard Bro (1925-…)

La miséricorde, c'est l'amour qui vit la misère de l'autre comme si elle était la sienne. Mais pour pouvoir parler de la miséricorde divine, il faut dépasser notre expérience à nous. En effet, si nous soulageons la misère, c'est la plupart du temps par compassion ou par justice, mais non par miséricorde. La vision du mal nous est insupportable et le désir d'y porter remède naît souvent du besoin d'adoucir la morsure que nous en ressentons. Nous avons de la compassion, cette compassion peut être assez vive pour provoquer des actes de miséricorde, mais ces actes, nous les accomplissons souvent plus pour nous libérer que pour l'amour de l'autre. Ou encore, ayant reçu davantage que celui qui souffre, nous éprouvons une dette de justice à réparer le mal qui l'accable.
En Dieu, ce n'est ni la compassion ni la justice qui sont source de miséricorde, mais vraiment l'amour. Vivre la misère de l'autre, comme si elle était sienne, uniquement parce qu'on l'aime : Dieu seul peut avoir cette miséricorde. Il peut « être » miséricorde, parce que seul il n'est jamais encombré de lui-même, parce que seul il connaît et aime de façon absolument pure. Dieu se révèle à Moïse comme celui « qui a vu la misère de son peuple, qui connaît ses souffrances, ses angoisses, et est descendu pour le délivrer » (Exode 3, 7-8 et 3, 16). C'est la même intuition qui domine tout l'Evangile de Saint Jean : le Verbe de vie est venu de son Père pour faire remonter les hommes à son Père.
La nouveauté du christianisme est de nous avoir révélé que l'amour divin était un amour de « Père », c'est-à-dire créateur des raisons d'aimer. Que fait le Christ ? Il ne cherche pas à savoir si la misère qu'il rencontre est digne de son secours : en face de Marie-Madeleine, de saint Pierre, de Zachée ou de la Samaritaine, il les rend meilleurs, parce qu'il crée en eux la bonté dont ils manquent.
A l'inverse de nous, qui attendons que le bien existe pour nous décider à aimer, le Christ, le Père, aiment en prenant l'initiative, en suscitant les motifs d'amour. Venir au secours des défauts des autres appartient à celui qui n'a pas de défauts.
Comment Dieu apparaîtra-t-il le tout autre ? Par son éloignement ? Non, mais dans la manière dont il sera proche. Comment le Tout-Puissant fera-t-il le plus éclater sa force ? En punissant, en détruisant, en imposant sa rigueur ? Non, mais bien plus en demeurant par son amour maître de lui-même, en se révélant dans la douceur de sa miséricorde. Seul celui qui est au-dessus de la loi peut ainsi pardonner et seul le parfait, l'infiniment saint peut se donner à ce qui est souillé sans risque de corruption.
On demande des pécheurs, Cerf, Paris, 1973.


Dom André Louf (1929-...)

Brebis, drachme et fils qui s'étaient perdus, et voilà qu'ils sont maintenant retrouvés. On a souvent appelé ces paraboles les paraboles de la miséricorde de Dieu. On pourrait tout aussi bien les appeler les paraboles de la joie de Dieu. Le pasteur ayant retrouvé sa brebis, tout joyeux la met sur ses épaules et la reporte chez lui pour rassembler amis et voisins qui partageront sa joie : « Réjouissez-vous avec moi. » De même la femme qui a retrouvé sa drachme : « Réjouissez-vous avec moi car je l'ai retrouvée, la drachme que j'avais perdue » et surtout le père de l'enfant prodigue, qui le reconnaît de loin, accourt et se précipite à son cou : « Festoyons car mon fils était mort et il est revenu à la vie. » Saint Luc lui-même tira d'ailleurs la conclusion : « On se réjouira de même dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de conversion. »
La joie dit quelque chose de plus que la miséricorde. Etre occasion de joie pour quelqu'un n'est pas la même chose qu'être l'objet de sa miséricorde. La vraie miséricorde, celle que Dieu nous fait, ne peut faire abstraction de la joie de Dieu.
Si l'amour de Dieu n'était qu'un mouvement descendant de haut en bas, se penchant sur la détresse pour l'adoucir, s'épuisant dans un don si absolu qu'il n'attendrait plus de retour, il finirait par prendre le visage de la condescendance. Celui qui n'attend rien en échange de son don, n'est peut-être pas en état d'apprécier ce que d'autres pourraient lui offrir. Un tel amour s'enfermerait dans son propre don, impuissant à susciter une réponse, à faire jaillir un nouvel amour, à recréer l'autre au cœur de sa liberté. Se contentant de gaver celui qu'il aime, il en ferait le prisonnier de sa propre libéralité. Un tel amour, au lieu de rendre confiance, risque fort d'humilier, au lieu de promouvoir, maintient en infériorité, au lieu de créer, étouffe et éteint, même au cœur de son étreinte.
La miséricorde de Dieu n'y ressemble pas, car elle jaillit d'une autre source. Si Dieu aime tant, si Dieu se livre comme aucun ne sait le faire, si Dieu pardonne toujours, c'est que, dans un certain sens, il a pour ainsi dire besoin de nous, qu'il ne peut pas sans nous, qu'il ne serait plus lui-même, si on ose dire, si son amour faillissait à susciter un répondant.
La brebis qui s'est égarée concerne à tel point le pasteur que celui-ci en vient à abandonner toutes les autres pour la chercher, elle seule, et que sa joie sera plus grande, lorsqu'il l'aura retrouvée, que la joie que lui donnent celles qui n'ont jamais mis à l'épreuve son amour.
De même, le fils prodigue concerne tellement son père, au point que celui-ci n'attend même pas l'aveu pour l'étreindre dans ses bras, et omettra même d'y prêter attention lorsque le fils l'aura proféré. Car le père est déjà tout à sa propre joie – celle de revoir son fils – qui est la joie spécifique de Dieu, au-delà de laquelle il n'y a pas de joie plus grande encore. C'est d'ailleurs dans cette joie débordante du père que le fils se sent assumé et pardonné, et qu'il puisera sa propre joie et le courage d'y croire. C'est ainsi que Dieu aime pour de vrai. Il ne nus écrase pas d'un amour qui se suffirait à lui-même, tout-puissant et triomphant, mais il mendie encore le nôtre. Nous ne sommes pas seuls à dépendre de son amour. Lui aussi veut, pour ainsi dire, dépendre du nôtre. Nous ne sommes pas seuls à avoir nos racines dans son cœur à lui ; lui aussi veut avoir des racines dans notre cœur à nous. Il veut bien désirer que nous devenions à la fois son tourment et sa joie. Au point que lui-même, dans la bouche du prophète Jérémie, s'en est étonné comme d'une étrange faiblesse : « ce peuple est-il donc pour moi un fils si cher, un enfant tellement préféré, que je doive toujours penser à lui, et que mes entrailles s'émeuvent pour lui, que pour lui déborde ma tendresse. » (Jr 31, 20)
Seul l'Amour suffirait – Commentaires d'Evangile pour l'année C, Desclée de Brouwer, Paris, 1982.


Jean-Michel Garrigues

Nous devons implorer la miséricorde du cœur du Père au nom du néant dont il a tiré ses créatures. C'est ce néant qui appelle, comme un appel d'air, la flamme de son Amour. Ce n'est pas au nom de nos bonnes œuvres, au nom de quelques mérites que ce soit, que nous pouvons invoquer la miséricorde. C'est au Nom même de Dieu : "pour la Gloire de ton Nom, ne répudie pas ton Alliance".
Ce qui apparemment nous sépare le plus de Dieu, le fait qu'il est l'Etre et que nous venons du néant, le fait qu'il est le Saint et que nous sommes pécheurs, c'est cela même qui doit nous précipiter totalement en lui. Au lieu de chercher quelques bonnes œuvres qu'on pourrait lui présenter, pour nous entendre dire par le prophète Isaïe : "même vos bonnes œuvres sont comme le linge sale devant moi" (Is. 64, 5), nous devons, comme la pécheresse, nous précipiter vers Lui, découvrir notre néant et notre péché devant Lui. C'est quand nous disons à Dieu : "je ne suis pas", que Lui nous dit : "je te fais exister". C'est quand nous disons à Dieu : "j'ai péché", qu'il nous dit : "je te donne mon pardon et je t'aime". En nous mettant dans la vérité la plus radicale de notre condition, nous pouvons tout obtenir, non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour les autres.
Dieu sans idée du mal, Editions criterion, Limoges, 1982.


Sœur Anne-Marie, dans un temps de maladie, fut tout occupée de la justice et de la miséricorde de Dieu, qui lui découvrit jusqu'à la moindre de ses fautes. La miséricorde les engloutissait toutes aussitôt.
La Sœur disait pénétrée de joie :
- Si ce n'était l'offense à Dieu, j'aurais voulu avoir plus encore de quoi fournir à cette miséricorde, tant je lui voyais de complaisance à anéantir mes fautes.
Oh ! comme il est vrai que le trône de la miséricorde est notre propre misère.