Confiance en la Miséricorde Divine

3. Comme nous pardonnons aussi...





Aimez vos ennemis

« Vous avez appris qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d'être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les publicains eux-mêmes n'en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d'extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n'en font-ils pas autant ? Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »
Mat 5, 43-48

En aimant ton ennemi, tu souhaites qu’il te soit un frère. Ce n’est pas ce qu’il est que tu aimes en lui, mais ce que tu veux qu’il soit. Imaginons du bois de chêne non taillé. Un artisan habile voit ce bois, coupé dans la forêt ; ce bois lui plaît ; je ne sais pas ce qu'il veut en faire, mais ce n'est pas pour qu'il demeure comme il est que l’artiste aime ce bois. Son art lui fait voir ce que ce bois peut devenir ; son amour ne va pas au bois brut, il aime ce qu'il en fera, non le bois brut.
C'est ainsi que Dieu nous a aimés quand nous étions pécheurs. Il dit en effet : « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin du médecin mais les malades ». Nous a-t-il aimés pécheurs pour que nous demeurions pécheurs ? L'Artisan nous a vus comme un bois brut venant de la forêt, et ce qu'il avait en vue, c'est l’oeuvre qu'il tirerait de là, non le bois ou la forêt.
Toi de même : tu vois ton ennemi s'opposer à toi, t'accabler de paroles mordantes, se rendre rude par ses affronts, te poursuivre de sa haine. Mais tu es attentif au fait qu'il est un homme. Tu vois tout ce que cet homme a fait contre toi, et tu vois en lui qu'il a été fait par Dieu. Ce qu'il est en tant qu'homme, c’est l’oeuvre de Dieu ; la haine qu'il te porte, c'est son oeuvre à lui. Et que dis-tu en toi-même ? « Seigneur, sois bienveillant pour lui, remets-lui ses péchés, inspire-lui ta crainte, change-le. » Tu n'aimes pas en cet homme ce qu'il est, mais ce que tu veux qu'il soit. Donc, quand tu aimes ton ennemi, tu aimes un frère.
Saint Augustin (354-430), Commentaire sur la 1ère lettre de Jean, § 8,10.

« Le Christ a souffert pour nous, vous laissant un exemple pour que vous suiviez ses pas » (1P 2,21). Quel exemple du Seigneur aurons-nous à suivre ? Est-ce celui de ressusciter les morts ? Est-ce de marcher sur la mer ? Pas du tout, mais d'être doux et humbles de coeur (Mt 11,29) et d'aimer non seulement nos amis mais même nos ennemis (Mt 5,44).
« Afin que vous suiviez ses pas », écrit saint Pierre. Le bienheureux évangéliste Jean le dit aussi : « Celui qui dit qu'il demeure dans le Christ doit marcher comme lui il a marché » (1Jn 2,6). Comment le Christ a-t-il marché? Sur la croix il a prié pour ses ennemis, en disant : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font » (Lc 23,34). Ils ont en effet perdu le sens et sont possédés d'un esprit mauvais, et alors qu'ils nous persécutent, ils souffrent du diable une plus grande persécution. C'est pourquoi nous devons prier plus pour leur délivrance que pour leur condamnation.
C'est bien ce qu'a fait le bienheureux Étienne, lui qui le premier a suivi très glorieusement les pas du Christ. Car, alors qu'il était frappé d'une grêle de pierres, il a prié debout pour lui-même ; mais pour ses ennemis, s'étant mis à genoux, il s'est écrié de toutes ses forces : « Seigneur Jésus Christ, ne leur impute pas ce péché » (Ac 7,60). Donc, si nous pensons que nous ne pouvons pas imiter notre Seigneur, imitons au moins celui qui était son serviteur comme nous.
Saint Césaire d'Arles (470-543), Sermon 223, 3.6 (trad. Ed. Ouvrières, p. 86).

Frères très chers, personne ne peut se dispenser d'aimer ses ennemis. On peut me dire : « Je ne peux pas jeûner, je ne peux pas prier pendant la nuit. » Est-ce qu'on peut dire : « Je ne peux pas aimer » ? On peut dire : « Je ne peux pas donner tous mes biens aux pauvres et servir Dieu dans un monastère », mais on ne peut dire : « Je ne peux pas aimer. »
Tu me dis : « Je ne peux pas me priver de biens et de viandes », et je te crois, mais si tu dis que tu ne peux pardonner à ceux qui t'ont fait mal, je ne te crois pas du tout. Et nous n'avons aucune excuse de ne pas le faire puisque nous devons accomplir cette aumône en la tirant non pas de notre cave mais de notre coeur : aimons donc non seulement nos amis, mais aussi nos ennemis...
Mais tu me dis : « Mon ennemi m'a fait supporter tant de mal que je ne peux en aucune façon l'aimer. » Tu regardes ce que cet homme t'a fait et tu ne regardes pas ce que toi tu as fait à Dieu ? Examine attentivement ta conscience : tu as commis sans les réparer beaucoup plus de fautes contre Dieu qu'un homme n'en a commis contre toi. Avec quelle audace alors tu voudrais que Dieu te pardonne beaucoup, alors que tu n'acceptes pas de pardonner un peu.
Saint Césaire d'Arles (470-543), Sermons au peuple n° 37, (trad. SC 243, p. 233).

En ce temps-là, Hérode, prince de Galilée, apprit la renommée de Jésus et dit à ses serviteurs : « Cet homme, c'est Jean le Baptiste, il est ressuscité d'entre les morts, et voilà pourquoi il a le pouvoir de faire des miracles. » Car Hérode avait fait arrêter Jean, l'avait fait enchaîner et mettre en prison, à cause d'Hérodiade, la femme de son frère Philippe. En effet, Jean lui avait dit : « Tu n'as pas le droit de vivre avec elle. » Hérode cherchait à le mettre à mort, mais il eut peur de la foule qui le tenait pour un prophète. Lorsque arriva l'anniversaire d'Hérode, la fille d'Hérodiade dansa devant tout le monde, et elle plut à Hérode. Aussi s'engagea-t-il par serment à lui donner tout ce qu'elle demanderait. Poussée par sa mère, elle dit : « Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean le Baptiste. » Le roi fut contrarié, mais à cause de son serment et des convives, il commanda de la lui donner. Il envoya décapiter Jean dans la prison. La tête de celui-ci fut apportée sur un plat et donnée à la jeune fille, qui l'apporta à sa mère. Les disciples de Jean arrivèrent pour prendre son corps, l'ensevelirent et allèrent en informer Jésus.
Mat 14, 1-12

« Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean Baptiste. » Et Dieu l'a permis, il n'a pas lancé sa foudre du haut des cieux pour dévorer ce visage insolent ; il n'a pas ordonné à la terre de s'entr'ouvrir et d'engloutir les convives de ce banquet hideux. Dieu donnait ainsi une plus belle couronne au juste et laissait une magnifique consolation à ceux qui, dans l'avenir, seraient victimes de pareilles injustices. Écoutons donc, nous tous qui, malgré notre vie honnête, avons à souffrir des méchants... Le plus grand des enfants nés de la femme (Lc 7,28) a été mis à mort à la demande d'une fille impudique, d'une femme perdue ; et cela pour avoir défendu les lois divines. Que ces considérations nous fassent endurer courageusement nos propres souffrances...
Mais remarque le ton modéré de l'évangéliste qui, dans la mesure du possible, cherche des circonstances atténuantes à ce crime. Au sujet d'Hérode, il note qu'il a agi « à cause de ses serments et des convives » et qu'« il fut contristé » ; au sujet de la jeune fille, il remarque qu'elle avait été « endoctrinée par sa mère »... Nous aussi, ne haïssons pas les méchants, ne critiquons pas les fautes du prochain, cachons-les aussi discrètement que possible ; accueillons la charité en notre âme. Car sur cette femme impudique et sanguinaire, l'évangéliste a parlé avec toute la modération possible... Toi, au contraire, tu n'hésites pas à traiter ton prochain avec méchanceté... Toute différente est la façon d'agir des saints : ils pleurent sur les pécheurs, au lieu de les maudire. Faisons comme eux ; pleurons sur Hérodiade et sur ceux qui l'imitent. Car on voit aujourd'hui bien des repas du genre de celui d'Hérode ; on n'y met pas à mort le Précurseur, mais on y déchire les membres du Christ.
Saint Jean Chrysostome (vers 345-407), Homélies sur Saint Matthieu, n° 48.

Si tu penses du mal d’autrui, c’est le signe qu’un esprit mauvais vit en toi et qu’il t’inspire ces mauvaises pensées contre les gens. Et si quelqu’un meurt sans se repentir et sans pardonner à son frère, alors son âme descendra là où séjourne l’esprit mauvais qui la domine.
Nous avons cette loi : si tu pardonnes, cela signifie que le Seigneur t’a pardonné ; mais si tu ne pardonnes pas à ton frère, cela signifie que ton péché demeure en toi.
Le Seigneur veut que nous aimions notre prochain. Si tu penses que le Seigneur l’aime, cela veut dire que l’amour du Seigneur est avec toi. Si tu penses que le Seigneur aime beaucoup sa créature, si, toi-même, tu as de la compassion pour toute créature et aimes tes ennemis, et si, en même temps, tu t’estimes le pire des hommes, cela indique que la grande grâce du Saint-Esprit est avec toi.
L’homme qui porte en lui le Saint-Esprit, même si ce n’est pas en plénitude, souffre pour tous les hommes jour et nuit ; son cœur est plein de compassion pour toute créature de Dieu et surtout pour les hommes qui ne connaissent pas Dieu ou s’opposent à Lui, et qui, pour cette raison, iront dans le feu des tourments. Il prie pour eux jour et nuit, plus que pour lui-même, afin que tous se repentent et connaissent le Seigneur. (p.323)
A moins de prier pour les ennemis, l'âme ne peut pas avoir de paix. L'âme à laquelle la grâce de Dieu a enseigné à prier, aime avec compassion toute créature, et tout particulièrement l'homme. Sur la Croix, le Seigneur a souffert pour les hommes, et son âme a été dans l'agonie pour chacun de nous.
Le Seigneur m'a appris l'amour des ennemis. Privés de la grâce divine, nous ne pouvons pas aimer les ennemis, mais l'Esprit Saint apprend à aimer ; et alors on aura de la compassion même pour les démons, car ils se sont détachés du bien, ils ont perdu l'humilité et l'amour de Dieu.
Je vous en supplie, faites un essai. Si quelqu'un vous offense, ou vous méprise, ou vous arrache ce qui vous appartient, ou persécute l'Eglise, priez le Seigneur en disant : « Seigneur, nous sommes tous tes créatures ; aie pitié de tes serviteurs et tourne-les vers le repentir. » Alors, tu porteras perceptiblement la grâce dans ton âme. Au commencement, force ton cœur à aimer tes ennemis ; le Seigneur, voyant ta bonne intention, t'aidera en tout, et l'expérience elle-même t'instruira. Mais celui qui pense du mal de ses ennemis, l'amour de Dieu n'est pas en lui, et il n'a pas connu Dieu.
Quand tu prieras pour tes ennemis, la paix viendra sur toi ; et lorsque tu aimeras tes ennemis, sache qu'une grande grâce divine vit en toi ; je ne dis pas qu'elle soit déjà parfaite, mais elle est suffisante pour le salut. Si, par contre, tu injuries tes ennemis, c'est le signe qu'un esprit mauvais vit en toi et qu'il introduit dans ton cœur de mauvaises pensées ; car, comme l'a dit le Seigneur, c'est du cœur que jaillissent les bonnes ou les mauvaises pensées.
Un homme bon pense : « Tout homme qui s'éloigne de la vérité va à sa perte », et c'est pourquoi il a pitié de lui. Mais l'homme qui n'a pas appris du Saint-Esprit à aimer ne priera certes pas pour ses ennemis. Celui qui a appris du Saint-Esprit à aimer, souffrira toute sa vie pour ceux qui ne se sauvent pas ; il verse de nombreuses larmes pour les hommes, et la grâce divine lui donne la force d'aimer ses ennemis. Si tu ne les aimes pas, au moins ne les rabroue pas et ne les maudis pas ; et cela sera déjà un progrès. Mais si quelqu'un les maudit et les injurie, il est clair qu'un mauvais esprit vit en lui ; s'il ne se repent pas, à sa mort il ira là où demeurent les esprits mauvais. Puisse le Seigneur préserver toute âme d'un pareil malheur. (pp.344-345)
Mon âme souffre et je verse des flots de larmes : j'ai compassion des hommes qui ne connaissent pas la douceur de l'humble attendrissement du cœur. Mon âme a un grand désir : que la miséricorde du Seigneur soit avec tous les hommes, afin que le monde entier, tous les hommes sachent avec quelle tendresse le Seigneur nous aime, comme ses enfants très chers. (p.350)
Saint Silouane (1866-1937), In Starets Silouane : Moine du Mont Athos. Vie - Doctrine - Écrits par l’Archimandrite Sophrony, Éditions Présence, Sisteron, 1989.

Dans le Nouveau Testament, on trouve le mot grec Agapè pour désigner l'amour. C'est l'amour débordant qui ne demande rien en retour. Les théologiens diraient qu'il s'agit de l'amour de Dieu à l'œuvre dans le cœur humain. Lorsqu'on s'élève jusqu'à aimer ainsi, on aime tous les hommes, non parce qu'on éprouve pour eux de la sympathie, non parce qu'on apprécie leur façon d'être, on les aime parce que Dieu les aime. Tel était le sens de la parole de Jésus Aimez vos ennemis. Et pour ma part, je suis heureux qu'il n'ait pas dit : "Ayez de la sympathie pour vos ennemis" parce qu'il y a des personnes pour lesquelles j'ai du mal à avoir de la sympathie.
La sympathie est un sentiment d'affection, et il m'est impossible d'avoir un sentiment d'affection pour quelqu'un qui bombarde mon foyer. Il m'est impossible d'avoir de la sympathie pour quelqu'un qui m'exploite. Il m'est impossible d'avoir de la sympathie pour quelqu'un qui m'"écrase sous l'injustice. Non, aucune sympathie n'est possible envers quelqu'un qui, jour et nuit, menace de me tuer. Mais Jésus me rappelle que l'amour est plus grand que la sympathie, que l'amour est une bonne volonté compréhensive, créatrice, rédemptrice, envers tous les hommes.
Martin Luther King (1929-1968), La seule révolution, Casterman, 1968.