Poésies d'inspiration chrétienne


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Emile Verhaeren (1855-1916)



Pieusement

La nuit d'hiver élève au ciel son pur calice.

Et je lève mon cœur aussi, mon cœur nocturne,
Seigneur, mon cœur ! vers ton pâle infini vide,
Et néanmoins je sais que tout est taciturne
Et qu'il n'existe rien dont ce cœur meurt, avide ;
Et je te sais mensonge et mes lèvres te prient

Et mes genoux ; je sais et tes grandes mains closes
Et tes grands yeux fermés aux désespoirs qui crient,
Et que c'est moi, qui seul, me rêve dans les choses ;
Sois de pitié, Seigneur, pour ma toute démence.
J'ai besoin de pleurer mon mal vers ton silence !...

La nuit d'hiver élève au ciel son pur calice !

Les débâcles



Pèlerinage

Où vont les vieux paysans noirs
Par les chemins en or des soirs ?

A grands coups d'ailes affolées,
En leurs toujours folles volées,
Les moulins fous fauchent le vent.

Le cormoran des temps d'automne
Jette au ciel triste et monotone
Son cri sombre comme la nuit.

C'est l'heure brusque de la terreur,
Où passe, en son charroi d'horreur,
Le vieux Satan des moissons fausses.

Par la campagne en grand deuil d'or,
Où vont les vieux silencieux

Quelqu'un a dû frapper l'été
De mauvaise fécondité :
Le blé haut ne fut que paille,

Les bonnes eaux n'ont point coulé
Par les veines du champ brûlé ;
Quelqu'un a dû frapper les sources

Quelqu'un a dû sécher la vie,
Comme une gorge inassouvie
Vide d'un trait le fond d'un verre.

Par la campagne en grand deuil d'or,
Où vont les vieux et leur misère ?

L'âpre semeur des mauvais germes,
Au temps de mai baignant les fermes,
Les vieux l'ont tous senti passer.

Ils l'ont surpris morne et railleur,
Penché sur la campagne en fleur ;
Plein de foudre, comme l'orage.

Les vieux n'ont rien osé se dire.
Mais tous ont entendu son rire
Courir de taillis en taillis.

Or, ils savent par quel moyen
On peut fléchir Satan païen,
Qui reste maître des moissons.

Par la campagne en grand deuil d'or,
Où vont les vieux et leur frisson ?

L'âpre semeur du mauvais blé
Entend venir ce défilé
D'hommes qui se taisent et marchent.

Il sait que seuls ils ont encore,
Au fond du cœur qu'elle dévore,
Toute la peur de l'inconnu ;

Qu'obstinément ils dérobent en eux
Son culte sombre et lumineux,
Comme un minuit blanc de mercure,

Et qu'ils redoutent les révoltes,
Et qu'ils supplient pour leurs récoltes
Plus devant lui que devant Dieu.

Par la campagne en grand deuil d'or,
Où vont les vieux porter leur vœu ?

Le Satan noir des champs brûlés
Et des fermiers ensorcelés
Qui font des croix de la main gauche,

Ce soir, à l'heure où l'horizon est rouge
Contre un arbre dont rien ne bouge,
Depuis une heure est accoudé.

Les vieux ont pu l'apercevoir,
Avec ses yeux dardés vers eux,
D'entre ses cils de chardons morts.

Ils ont senti qu'il écoutait
Les silences de leur souhait
Et leur prière uniquement pensée.

Alors, subitement,
En un grand feu de tourbe
 Et de branches coupées l'y ont jeté un chat vivant. 

Regards éteints, pattes crispées,
La bête est morte atrocement,

Pendant qu'au long des champs muets,
Sous le gel rude et le vent froid,
Chacun, par un chemin à soi,
Sans rien savoir s'en revenait.

Les campagnes hallucinées


Le péché

Sur sa butte que le vent gifle,
Il tourne et fauche et ronfle et siffle,
Le vieux moulin des péchés vieux
Et des forfaits astucieux.

Il geint des pieds jusqu'à la tête,
Sur fond d'orage et de tempête,
Lorsque l'automne et les nuages
Frôlent son toit de leurs voyages.

Sur la campagne abandonnée
Il apparaît une araignée
Colossale, tissant ses toiles
Jusqu'aux étoiles.

C'est le moulin des vieux péchés.
Qui l'écoute, parmi les routes,
Entend battre le cœur du diable,
Dans sa carcasse insatiable.

Un travail d'ombre et de ténèbres
S'y fait, pendant les nuits funèbres
Quand la lune fendue
Gît là, sur le carreau de l'eau,
Comme une hostie atrocement mordue.

C'est le moulin de la ruine
Qui moud le mal et le répand aux champs
Infini, comme une bruine.

Ceux qui sournoisement écornent
Le champ voisin en déplaçant les bornes ;
Ceux qui, valets d'autrui, sèment l'ivraie
Au lieu de l'orge vraie ;
Ceux qui jettent les poisons verts dans l'eau
Où l'on amène le troupeau ;
Ceux qui, par les nuits seules,
En brasiers d'or font éclater les meules,
Tous passèrent par le moulin.

Encore :

Les vieux jeteurs de sorts et les sorcières
Que vont trouver les filles-mères ;
Ceux qui cachent dans les fourrés
Leurs ruts sinistrement vociférés ;
Ceux qui n'aiment la chair que si le sang
Gicle aux yeux, frais et luisant ;
Ceux qui s'entr'égorgent, à couteaux rouges,
Volets fermés, au fond des bouges ;
Ceux qui scrutent l'espace
Avec, au bout du poing, la mort pour tel qui passe,
Tous passèrent par le moulin.

Aussi :

Les vagabonds qui habitent des fosses
Avec leurs filles qu'ils engrossent ;
Les fous qui choisissent des bêtes
Pour assouvir leur rage et ses tempêtes ;
Les mendiants qui déterrent les mortes
Atrocement et les emportent ;
Les couples noirs, pervers et vieux,
 Qui instruisent l'enfant à coucher entre eux deux ; 
Tous passèrent par le moulin.

Tous sont venus, sournoisement,
Choisissant l'heure et le moment,
Avec leurs chiens et leurs brouettes,
Et leurs ânes et leurs charrettes ;
Tous sont venus, jeunes et vieux,
Pour emporter jusque chez eux
Le mauvais grain, coûte que coûte ;
Et quand ils sont redescendus
Par les sentes du haut talus,
Les grand'routes charriaient toutes
Infiniment, comme des veines,
Le sang du mal, parmi les plaines.

Et le moulin tournait au fond des soirs
La croix grande de ses bras noirs,
Avec des feux, comme des yeux,
Dans l'orbite de ses lucarnes
Dont les rayons gagnaient les loins.
Parfois, s'illuminaient des coins,
Là-bas, dans la campagne morne,
Et l'on voyait les porteurs gourds,
Ployant au faix des péchés lourds,
Hagards et las, buter de borne en borne.

Les campagnes hallucinées



Rentrée des moines

I

On dirait que le site entier sous un lissoir
Se lustre et dans les lacs voisins se réverbère ;
C'est l'heure où la clarté du jour d'ombres s'obère,
Où le soleil descend les escaliers du soir.

Une étoile d'argent lointainement tremblante,
Lumière d'or dont on n'aperçoit le flambeau,
Se reflète, mobile et fixe, au fond de l'eau
Où le courant la lave, avec une onde lente.

A travers les champs verts s'en va se déroulant
La route dont l'averse a creusé les ornières ;
Elle longe les noirs massifs des sapinières
Et monte au carrefour couper le pavé blanc.

Au loin scintille encore une lucarne ronde
Qui s'ouvre ainsi qu'un œil dans un pignon rongé ;
Là, le dernier reflet du couchant s'est plongé
Comme, en un trou profond et ténébreux, la sonde.

Et rien ne s'entend plus dans ce mystique adieu,
Rien - le site vêtu d'une paix métallique
Semble enfermer en lui, comme une basilique,
La présence muette et nocturne de Dieu.

II

Alors les moines blancs rentrent aux monastères
Après secours portés aux malades des bourgs,
Aux laboureurs ployés sous le faix des labours
Aux gueux chrétiens qui vont mourir, aux grabataires,

A ceux qui crèvent seuls, mornes, sales, pouilleux,
Et que nul de regrets ni de pleurs n'accompagne
Et qu'on enterrera dans un coin de campagne,
Sans qu'on lave leur corps ni qu'on ferme leurs yeux,

Aux mendiants mordus de misères avides,
Qui, le ventre troué de faim, ne peuvent plus
Se béquiller là-bas vers les enclos feuillus
Et qui se noient, la nuit, dans les étangs livides.

Et tels les moines blancs traversent les champs noirs,
Faisant songer au temps des jeunesses bibliques
Où l'on voyait errer des géants angéliques,
En longs manteaux de lin, dans l'or pâli des soirs.

III

Brusque, résonne au loin un tintement de cloche,
Qui casse du silence à coups de battant clair
Par-dessus les hameaux, et jette à travers l'air
Un long appel, qui long, parmi l'écho, ricoche.

Il proclame que c'est l'instant justicier
Où les moines s'en vont en chœur chanter Ténèbres
Et promener sur leurs consciences funèbres
La froide cruauté de leurs regards d'acier.

Et les voici priant : tous ceux dont la journée
S'est consumée au long hersage en pleins terreaux,
Ceux dont l'esprit, sur les textes préceptoraux,
S'épand, comme un reflet de lumière inclinée.

Ceux dont la solitude âpre et mâle a rendu
L'âme voyante et dont la peau blême et collante
Jette vers Dieu la voix de sa maigreur sanglante,
Ceux dont les tourments noirs ont fait le corps tordu.

Et les moines qui sont rentrés aux monastères,
Après visite faite aux malheureux des bourgs,
Aux remueurs cassés de sols et de labours,
Aux gueux chrétiens qui vont mourir, aux grabataires,

A leurs frères pieux disent, à lente voix,
Qu'au dehors, quelque part, dans un coin de bruyère,
Il est un moribond qui s'en va sans prière
Et qu'il faut supplier, au chœur, le Christ en croix,

Pour qu'il soit pitoyable aux mendiants avides
Qui, le ventre troué de faim, ne peuvent plus
Se béquiller au loin dans les enclos feuillus
Et qui se noient, la nuit, dans les étangs livides.

Et tous alors, tous les moines, très lentement,
Envoient vers Dieu le chant des lentes litanies ;
Et les anges qui sont gardiens des agonies
Ferment les yeux des morts, silencieusement.

Les moines



Soirs religieux

Le déclin du soleil étend, jusqu'aux lointains,
Son silence et sa paix comme un pâle cilice ;
Les choses sont d'aspect méticuleux et lisse
Et se détaillant clair sur des fonds byzantins.

L'averse a sabré l'air de ses lames de grêle,
Et voici que le ciel luit comme un parvis bleu,
Et que c'est l'heure où meurt à l'occident, le feu
Où l'argent de la nuit à l'or du jour se mêle.

A l'horizon, plus rien ne passe, si ce n'est
Une allée invaincue et géante de chênes,
Se prolongeant là-bas jusqu'aux fermes prochaines,
Le long des champs en friche et des coins de genêt.

Ces arbres vont - ainsi des moines mortuaires
Qui s'en iraient, le cœur assombri par les soirs,
Comme jadis partaient les longs pénitents noirs
Pèleriner au loin vers d'anciens sanctuaires.

Et la route montant et tout à coup s'ouvrant
Sur le couchant rougi comme un plant de pivoines,
A voir ces arbres nus, à voir passer ces moines,
On dirait qu'ils s'en vont, ensemble, et tous en rang,

Vers leur Dieu dont l'azur d'étoiles s'ensemence ;
Et les astres, brillant là-haut sur leur chemin,
Semblent les feux de grands cierges tenus en main,
Dont on n'aperçoit pas monter la tige immense.

Les moines




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