Poésies d'inspiration chrétienne


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Alphonse de Lamartine (1790-1869)



L'infini dans les cieux

C'est une nuit d'été ; nuit dont les vastes ailes
Font jaillir dans l'azur des milliers d'étincelles ;
Qui, ravivant le ciel comme un miroir terni,
Permet à l'œil charmé d'en sonder l'infini ;
Nuit où le firmament, dépouillé de nuages,
De ce livre de feu rouvre toutes les pages !
Sur le dernier sommet des monts, d'où le regard
Dans un trouble horizon se répand au hasard,
Je m'assieds en silence, et laisse ma pensée
Flotter comme une mer où la lune est bercée.

L'harmonieux Ether, dans ses vagues d'azur,
Enveloppe les monts d'un fluide plus pur ;
Leurs contours qu'il éteint, leurs cimes qu'il efface,
Semblent nager dans l'air et trembler dans l'espace,
Comme on voit jusqu'au fond d'une mer en repos
L'ombre de son rivage, onduler sous les flots !
Sous ce jour sans rayon, plus serein qu'une aurore,
A l'œil contemplatif la terre semble éclore ;
Elle déroule au loin ses horizons divers
Où se joua la main qui sculpta l'univers !
Là, semblable à la vague, une colline ondule,
Là, le coteau poursuit le coteau qui recule,
Et le vallon, voilé de verdoyants rideaux,
Se creuse comme un lit pour l'ombre et pour les eaux ;
Ici s'étend la plaine, où, comme sur la grève,
La vague des épis s'abaisse et se relève ;
Là, pareil au serpent dont les nœuds sont rompus,
Le fleuve, renouant ses flots interrompus,
Trace à son cours d'argent des méandres sans nombre,
Se perd sous la colline et reparaît dans l'ombre :
Comme un nuage noir, les profondes forêts
D'une tâche grisâtre ombragent les guérets,
Et plus loin, où la plage en croissant se reploie,
Où le regard confus dans les vapeurs se noie,
Un golfe de la mer, d'îles entrecoupé,
Des blancs reflets du ciel par la lune frappé,
Comme un vaste miroir, brisé sur la poussière,
Réfléchit dans l'obscur des fragments de lumière.

Que le séjour de l'homme est divin, quand la nuit
De la vie orageuse étouffe ainsi le bruit !
Ce sommeil qui d'en haut tombe avec la rosée
Et ralentit le cours de la vie épuisée,
Semble planer aussi sur tous les éléments,
Et de tout ce qui vit calmer les battements ;
Un silence pieux s'étend sur la nature,
Le fleuve a son éclat, mais n'a plus son murmure,
Les chemins sont déserts, les chaumières sans voix,
Nulle feuille ne tremble à la voûte des bois,
Et la mer elle-même, expirant sur sa rive,
Roule à peine à la plage une lame plaintive ;
On dirait, en voyant ce monde sans échos,
Où l'oreille jouit d'un magique repos,
Où tout est majesté, crépuscule, silence,
Et dont le regard seul atteste l'existence,
Que l'on contemple en songe, à travers le passé,
Le fantôme d'un monde où la vie a cessé !
Seulement, dans les troncs des pins aux larges cimes,
Dont les groupes épars croissent sur ces abîmes,
L'haleine de la nuit, qui se brise parfois,
Répand de loin en loin d'harmonieuses voix,
Comme pour attester, dans leur cime sonore,
Que ce monde, assoupi, palpite et vit encore.

Un monde est assoupi sous la voûte des cieux ?
Mais dans la voûte même où s'élèvent mes yeux,
Que de mondes nouveaux, que de soleils sans nombre,
Trahis par leur splendeur, étincellent dans l'ombre !
Les signes épuisés s'usent à les compter,
Et l'âme infatigable est lasse d'y monter !
Les siècles, accusant leur alphabet stérile,
De ces astres sans fin n'ont nommé qu'un sur mille ;
Que dis-je ! Aux bords des cieux, ils n'ont vu qu'ondoyer
Les mourantes lueurs de ce lointain foyer ;
Là l'antique Orion des nuits perçant les voiles
Dont Job a le premier nommé les sept étoiles ;
Le navire fendant l'éther silencieux,
Le bouvier dont le char se traîne dans les cieux,
La lyre aux cordes d'or, le cygne aux blanches ailes,
Le coursier qui du ciel tire des étincelles,
La balance inclinant son bassin incertain,
Les blonds cheveux livrés au souffle du matin,
Le bélier, le taureau, l'aigle, le sagittaire,
Tout ce que les pasteurs contemplaient sur la terre,
Tout ce que les héros voulaient éterniser,
Tout ce que les amants ont pu diviniser,
Transporté dans le ciel par de touchants emblèmes,
N'a pu donner des noms à ces brillants systèmes.
Les cieux pour les mortels sont un livre entrouvert,
Ligne à ligne à leurs yeux par la nature offert ;
Chaque siècle avec peine en déchiffre une page,
Et dit : Ici finit ce magnifique ouvrage :
Mais sans cesse le doigt du céleste écrivain
Tourne un feuillet de plus de ce livre divin,
Et l'œil voit, ébloui par ces brillants mystères,
Etinceler sans fin de plus beaux caractères !
Que dis-je ? À chaque veille, un sage audacieux
Dans l'espace sans bords s'ouvre de nouveaux cieux ;
Depuis que le cristal qui rapproche les mondes
Perce du vaste Ether les distances profondes,
Et porte le regard dans l'infini perdu,
Jusqu'où l'œil du calcul recule confondu,
Les cieux se sont ouverts comme une voûte sombre
Qui laisse en se brisant évanouir son ombre ;
Ses feux multipliés plus que l'atome errant
Qu'éclaire du soleil un rayon transparent,
Séparés ou groupés, par couches, par étages,
En vagues, en écume, ont inondé ses plages,
Si nombreux, si pressés, que notre œil ébloui,
Qui poursuit dans l'espace un astre évanoui,
Voit cent fois dans le champ qu'embrasse sa paupière
Des mondes circuler en torrents de poussière !
Plus loin sont ces lueurs que prirent nos aïeux
Pour les gouttes du lait qui nourrissait les dieux ;
Ils ne se trompaient pas : ces perles de lumière,
Qui de la nuit lointaine ont blanchi la carrière,
Sont des astres futurs, des germes enflammés
Que la main toujours pleine a pour les temps semés,
Et que l'esprit de Dieu, sous ses ailes fécondes,
De son ombre de feu couve au berceau des mondes.
C'est de là que, prenant leur vol au jour écrit,
Comme un aiglon nouveau qui s'échappe du nid,
Ils commencent sans guide et décrivent sans trace
L'ellipse radieuse au milieu de l'espace,
Et vont, brisant du choc un astre à son déclin,
Renouveler des cieux toujours à leur matin.

Et l'homme cependant, cet insecte invisible,
Rampant dans les sillons d'un globe imperceptible,
Mesure de ces feux les grandeurs et les poids,
Leur assigne leur place et leur route et leurs lois,
Comme si, dans ses mains que le compas accable,
Il roulait ces soleils comme des grains de sable !
Chaque atome de feu que dans l'immense éther
Dans l'abîme des nuits l'œil distrait voit flotter,
Chaque étincelle errante aux bords de l'empyrée,
Dont scintille en mourant la lueur azurée,
Chaque tache de lait qui blanchit l'horizon,
Chaque teinte du ciel qui n'a pas même un nom,
Sont autant de soleils, rois d'autant de systèmes,
Qui, de seconds soleils se couronnant eux-mêmes,
Guident, en gravitant dans ces immensités,
Cent planètes brûlant de leurs feux empruntés,
Et tiennent dans l'éther chacune autant de place
Que le soleil de l'homme en tournant en embrasse,
Lui, sa lune et sa terre, et l'astre du matin,
Et Saturne obscurci de son anneau lointain !
Oh ! que tes cieux sont grands ! et que l'esprit de l'homme
Plie et tombe de haut, mon Dieu ! quand il te nomme !
Quand, descendant du dôme où s'égaraient ses yeux,
Atome, il se mesure à l'infini des cieux,
Et que, de ta grandeur soupçonnant le prodige,
Son regard s'éblouit, et qu'il se dit : Que suis-je ?
Oh ! que suis-je, Seigneur ! devant les cieux et toi ?
De ton immensité le poids pèse sur moi,
Il m'égale au néant, il m'efface, il m'accable,
Et je m'estime moins qu'un de ces grains de sable,
Car ce sable roulé par les flots inconstants,
S'il a moins d'étendue, hélas ! a plus de temps ;
Il remplira toujours son vide dans l'espace
Lorsque je n'aurai plus ni nom, ni temps, ni place ;
Son sort est devant toi moins triste que le mien,
L'insensible néant ne sent pas qu'il n'est rien
Il ne se ronge pas pour agrandir son être,
Il ne veut ni monter, ni juger, ni connaître,
D'un immense désir il n'est point agité ;
Mort, il ne rêve pas une immortalité !
Il n'a pas cette horreur de mon âme oppressée,
Car il ne porte pas le poids de ta pensée !

Hélas ! pourquoi si haut mes yeux ont-ils monté ?
J'étais heureux en bas dans mon obscurité,
Mon coin dans l'étendue et mon éclair de vie
Me paraissaient un sort presque digne d'envie ;
Je regardais d'en haut cette herbe ; en comparant,
Je méprisais l'insecte et je me trouvais grand ;
Et maintenant, noyé dans l'abîme de l'être,
Je doute qu'un regard du Dieu qui nous fit naître
Puisse me démêler d'avec lui, vil, rampant,
Si bas, si loin de lui, si voisin du néant !
Et je me laisse aller à ma douleur profonde,
Comme une pierre au fond des abîmes de l'onde ;
Et mon propre regard, comme honteux de soi,
Avec un vil dédain se détourne de moi,
Et je dis en moi-même à mon âme qui doute :
Va, ton sort ne vaut pas le coup d'œil qu'il te coûte !
Et mes yeux desséchés retombent ici-bas,
Et je vois le gazon qui fleurit sous mes pas,
Et j'entends bourdonner sous l'herbe que je foule
Ces flots d'êtres vivants que chaque sillon roule :
Atomes animés par le souffle divin,
Chaque rayon du jour en élève sans fin,
La minute suffit pour compléter leur être,
Leurs tourbillons flottants retombent pour renaître,
Le sable en est vivant, l'éther en est semé,
Et l'air que je respire est lui-même animé ;
Et d'où vient cette vie, et d'où peut-elle éclore,
Si ce n'est du regard où s'allume l'aurore ?
Qui ferait germer l'herbe et fleurir le gazon,
Si ce regard divin n'y portait son rayon ?
Cet œil s'abaisse donc sur toute la nature,
Il n'a donc ni mépris, ni faveur, ni mesure,
Et devant l'infini pour qui tout est pareil,
Il est donc aussi grand d'être homme que soleil !
Et je sens ce rayon m'échauffer de sa flamme,
Et mon cœur se console, et je dis à mon âme :
Homme ou monde à ses pieds, tout est indifférent,
Mais réjouissons-nous, car notre maître est grand !

Flottez, soleils des nuits, illuminez les sphères ;
Bourdonnez sous votre herbe, insectes éphémères ;
Rendons gloire là-haut, et dans nos profondeurs,
Vous par votre néant, et vous par vos grandeurs,
Et toi par ta pensée, homme ! grandeur suprême,
Miroir qu'il a créé pour s'admirer lui-même,
Echo que dans son œuvre il a si loin jeté,
Afin que son saint nom fût partout répété.
Que cette humilité qui devant lui m'abaisse
Soit un sublime hommage, et non une tristesse ;
Et que sa volonté, trop haute pour nos yeux,
Soit faite sur la terre, ainsi que dans les cieux !

Harmonies poétiques et religieuses



Aux chrétiens dans les temps d'épreuves

Pourquoi vous troublez-vous, enfants de l'Evangile ?
À quoi sert dans les cieux ton tonnerre inutile,
Disent-ils au Seigneur, quand ton Christ insulté,
Comme au jour où sa mort fit trembler les collines,
Un roseau dans les mains et le front ceint d'épines,
Au siècle est présenté ?

Ainsi qu'un astre éteint sur un horizon vide,
La foi, de nos aïeux la lumière et le guide,
De ce monde attiédi retire ses rayons ;
L'obscurité, le doute, ont brisé sa boussole,
Et laissent diverger, au vent de la parole,
L'encens des nations.

Et tu dors ? et les mains qui portent ta justice,
Les chefs des nations, les rois du sacrifice,
N'ont pas saisi le glaive et purgé le saint lieu ?
Levons-nous, et lançons le dernier anathème ;
Prenons les droits du ciel, et chargeons-nous nous-même
Des justices de Dieu.

Arrêtez, insensés, et rentrez dans votre âme ;
Ce zèle dévorant dont mon nom vous enflamme
Vient-il, dit le Seigneur, ou de vous ou de moi ?
Répondez ; est-ce moi que la vengeance honore ?
Ou n'est-ce pas plutôt l'homme que l'homme abhorre
Sous cette ombre de foi ?
Et qui vous a chargés du soin de sa vengeance ?
A-t-il besoin de vous pour prendre sa défense ?
La foudre, l'ouragan, la mort, sont-ils à nous ?
Ne peut-il dans sa main prendre et juger la terre,
Ou sous son pied jaloux la briser comme un verre
Avec l'impie et vous ?

Quoi, nous a-t-il promis un éternel empire,
Nous disciples d'un Dieu qui sur la croix expire,
Nous à qui notre Christ n'a légué que son nom,
Son nom et le mépris, son nom et les injures,
L'indigence et l'exil, la mort et les tortures,
Et surtout le pardon ?

Serions-nous donc pareils au peuple déicide,
Qui, dans l'aveuglement de son orgueil stupide,
Du sang de son Sauveur teignit Jérusalem ?
Prit l'empire du ciel pour l'empire du monde,
Et dit en blasphémant : Que ton sang nous inonde,
O roi de Bethléem !

Ah ! nous n'avons que trop affecté cet empire !
Depuis qu'humbles proscrits échappés du martyre
Nous avons des pouvoirs confondu tous les droits,
Entouré de faisceaux les chefs de la prière,
Mis la main sur l'épée et jeté la poussière
Sur la tête des rois.

Ah ! nous n'avons que trop, aux maîtres de la terre,
Emprunté, pour régner, leur puissance adultère ;
Et dans la cause enfin du Dieu saint et jaloux,
Mêlé la voix divine avec la voix humaine,
Jusqu'à ce que Juda confondît dans sa haine
La tyrannie et nous.

Voilà de tous nos maux la fatale origine ;
C'est de là qu'ont coulé la honte et la ruine,
La haine, le scandale et les dissensions;
C'est de là que l'enfer a vomi l'hérésie,
Et que du corps divin tant de membres sans vie
Jonchent les nations.

" Mais du Dieu trois fois saint notre injure est l'injure ;
Faut-il l'abandonner au mépris du parjure ?
Aux langues du sceptique ou du blasphémateur ?
Faut-il, lâches enfants d'un père qu'on offense,
Tout souffrir sans réponse et tout voir sans vengeance ? "
Et que fait le Seigneur ?

Sa terre les nourrit, son soleil les éclaire,
Sa grâce les attend, sa bonté les tolère,
Ils ont part à ses dons qu'il nous daigne épancher,
Pour eux le ciel répand sa rosée et son ombre,
Et de leurs jours mortels il leur compte le nombre
Sans en rien retrancher.

Il prête sa parole à la voix qui le nie ;
Il compatit d'en haut à l'erreur qui le prie ;
À défaut de clartés, il nous compte un désir.
La voix qui crie Alla ! la voix qui dit mon Père,
Lui portent l'encens pur et l'encens adultère :
À lui seul de choisir.

Ah ! pour la vérité n'affectons pas de craindre ;
Le souffle d'un enfant, là-haut, peut-il éteindre
L'astre dont l'Eternel a mesuré les pas ?
Elle était avant nous, elle survit aux âges,
Elle n'est point à l'homme, et ses propres nuages
Ne l'obscurciront pas.

Elle est ! elle est à Dieu qui la dispense au monde,
Qui prodigue la grâce où la misère abonde ;
Rendons grâce à lui seul du rayon qui nous luit !
Sans nous épouvanter de nos heures funèbres,
Sans nous enfler d'orgueil et sans crier ténèbres
Aux enfants de la nuit.

Esprits dégénérés, ces jours sont une épreuve,
Non pour la vérité, toujours vivante et neuve,
Mais pour nous que la peine invite au repentir ;
Témoignons pour le Christ, mais surtout par nos vies ;
Notre moindre vertu confondra plus d'impies
Que le sang d'un martyr.

Chrétiens, souvenons-nous que le chrétien suprême
N'a légué qu'un seul mot pour prix d'un long blasphème
À cette arche vivante où dorment ses leçons ;
Et que l'homme, outrageant ce que notre âme adore,
Dans notre cœur brisé ne doit trouver encore
Que ce seul mot : Aimons !

Harmonies poétiques et religieuses


L'esprit de Dieu

Le feu divin qui nous consume
Ressemble à ces feux indiscrets
Qu'un pasteur imprudent allume
Aux bord de profondes forêts ;
Tant qu'aucun souffle ne l'éveille,
L'humble foyer couve et sommeille ;
Mais s'il respire l'aquilon,
Tout à coup la flamme engourdie
S'enfle, déborde ; et l'incendie
Embrase un immense horizon !

O mon âme, de quels rivages
Viendra ce souffle inattendu ?
Serait-ce un enfant des orages ?
Un soupir à peine entendu ?
Viendra-t-il, comme un doux zéphyre,
Mollement caresser ma lyre,
Ainsi qu'il caresse une fleur ?
Ou sous ses ailes frémissantes,
Briser ses cordes gémissantes
Du cri perçant de la douleur ?

Viens du couchant ou de l'aurore !
Doux ou terrible au gré du sort,
Le sein généreux qui t'implore
Brave la souffrance ou la mort !
Aux cœurs altérés d'harmonie
Qu'importe le prix du génie ?
Si c'est la mort, il faut mourir !...
On dit que la bouche d'Orphée,
Par les flots de l'Ebre étouffée,
Rendit un immortel soupir !

Mais soit qu'un mortel vive ou meure,
Toujours rebelle à nos souhaits,
L'esprit ne souffle qu'à son heure,
Et ne se repose jamais !
Préparons-lui des lèvres pures,
Un œil chaste, un front sans souillures,
Comme, aux approches du saint lieu,
Des enfants, des vierges voilées,
Jonchent de roses effeuillées
La route où va passer un Dieu !

Fuyant des bords qui l'ont vu naître,
De Jéthro l'antique berger
Un jour devant lui vit paraître
Un mystérieux étranger ;
Dans l'ombre, ses larges prunelles
Lançaient de pâles étincelles,
Ses pas ébranlaient le vallon ;
Le courroux gonflait sa poitrine,
Et le souffle de sa narine
Résonnait comme l'aquilon !

Dans un formidable silence
Ils se mesurent un moment ;
Soudain l'un sur l'autre s'élance,
Saisi d'un même emportement :
Leurs bras menaçants se replient,
Leurs fronts luttent, leurs membres crient,
Leurs flancs pressent leurs flancs pressés ;
Comme un chêne qu'on déracine
Leur tronc se balance et s'incline
Sur leurs genoux entrelacés !

Tous deux ils glissent dans la lutte,
Et Jacob enfin terrassé
Chancelle, tombe, et dans sa chute
Entraîne l'ange renversé :
Palpitant de crainte et de rage,
Soudain le pasteur se dégage
Des bras du combattant des cieux,
L'abat, le presse, le surmonte,
Et sur son sein gonflé de honte
Pose un genou victorieux !

Mais, sur le lutteur qu'il domine,
Jacob encor mal affermi,
Sent à son tour sur sa poitrine
Le poids du céleste ennemi !...
Enfin, depuis les heures sombres
Où le soir lutte avec les ombres,
Tantôt vaincu, tantôt vainqueur,
Contre ce rival qu'il ignore
Il combattit jusqu'à l'aurore...
Et c'était l'esprit du Seigneur !

Ainsi dans les ombres du doute
L'homme, hélas! égaré souvent,
Se trace à soi-même sa route,
Et veut voguer contre le vent ;
Mais dans cette lutte insensée,
Bientôt notre aile terrassée
Par le souffle qui la combat,
Sur la terre tombe essoufflée
Comme la voile désenflée
Qui tombe et dort le long du mât.

Attendons le souffle suprême ;
Dans un repos silencieux ;
Nous ne sommes rien de nous-même
Qu'un instrument mélodieux !
Quand le doigt d'en haut se retire,
Restons muets comme la lyre
Qui recueille ses saints transports
Jusqu'à ce que la main puissante
Touche la corde frémissante
Où dorment les divins accords !

Nouvelles méditations poétiques



Le Crucifix

Toi que j'ai recueilli sur sa bouche expirante
Avec son dernier souffle et son dernier adieu,
Symbole deux fois saint, don d'une main mourante,
Image de mon Dieu !

Que de pleurs ont coulé sur tes pieds, que j'adore,
Depuis l'heure sacrée où, du sein d'un martyr,
Dans mes tremblantes mains tu passas, tiède encore
De son dernier soupir !

Les saints flambeaux jetaient une dernière flamme ;
Le prêtre murmurait ces doux chants de la mort,
Pareils aux chants plaintifs que murmure une femme
A l'enfant qui s'endort.

....................................................

De son pieux espoir son front gardait la trace,
Et sur ses traits, frappés d'une auguste beauté,
La douleur fugitive avait empreint sa grâce,
La mort sa majesté.

Le vent qui caressait sa tête échevelée
Et montrait tour à tour ou me voilait ses traits,
Comme l'on voit flotter sur un blanc mausolée
L'ombre des noirs cyprès.

Un de ses bras pendait de la funèbre couche,
L'autre, languissamment replié sur son cœur,
Semblait chercher encore et presser sur sa bouche
L'image du Sauveur.

Ses lèvres s'entr'ouvraient pour l'embrasser encore,
Mais son âme avait fui dans ce divin baiser,
Comme un léger parfum que la flamme dévore
Avant de l'embraser.

Maintenant tout dormait sur sa bouche glacée,
Le souffle se taisait dans son sein endormi,
Et sur l'œil sans regard la paupière affaissée
Retombait à demi.

Et moi, debout, saisi d'une terreur secrète,
Je n'osais m'approcher de ce reste adoré,
Comme si du trépas la majesté muette
L'eût déjà consacré.

Je n'osais!... mais le prêtre entendit mon silence,
Et, de ses doigts glacés prenant le crucifix :
"Voilà le souvenir, et voilà l'espérance :
Emportez-les, mon fils!"

Oui, tu me resteras, ô funèbre héritage !
Sept fois depuis ce jour l'arbre que j'ai planté
Sur sa tombe sans nom a changé son feuillage :
Tu ne m'as pas quitté.

Placé près de ce cœur, hélas! où tout s'efface,
Tu l'as contre le temps défendu de l'oubli,
Et mes yeux, goutte à goutte, ont imprimé leur trace
Sur l'ivoire amolli.

O dernier confident de l'âme qui s'envole,
Viens, reste sur mon cœur ! parle encore, et dis-moi
Ce qu'elle te disait quand sa faible parole
N'arrivait plus qu'à toi.

A cette heure douteuse où l'âme recueillie,
Se cachant sous le voile épaissi sur nos yeux,
Hors de nos sens glacés pas à pas se replie,
Sourde aux derniers adieux ;

Alors qu'entre la vie et la mort incertaine,
Comme un fruit par son poids détaché du rameau,
Notre âme est suspendue et tremble à chaque haleine
Sur la nuit du tombeau ;

Quand des chants, des sanglots la confuse harmonie
N'éveille déjà plus notre esprit endormi,
Aux lèvres du mourant collé dans l'agonie,
Comme un dernier ami ;

Pour éclaircir l'horreur de cet étroit passage,
Pour relever vers Dieu son regard abattu,
Divin consolateur, dont nous baisons l'image,
Réponds ! Que lui dis-tu ?

Tu sais, tu sais mourir ! et tes larmes divines,
Dans cette nuit terrible où tu prias en vain,
De l'olivier sacré baignèrent les racines
Du soir jusqu'au matin !

De la croix, où ton œil sonda ce grand mystère,
Tu vis ta mère en pleurs et la nature en deuil ;
Tu laissas comme nous tes amis sur la terre,
Et ton corps au cercueil !

Au nom de cette mort, que ma faiblesse obtienne
De rendre sur ton sein ce douloureux soupir :
Quand mon heure viendra, souviens-toi de la tienne,
O toi qui sais mourir !

Je chercherai la place où sa bouche expirante
Exhala sur tes pieds l'irrévocable adieu,
Et son âme viendra guider mon âme errante
Au sein du même Dieu !

Ah ! puisse, puisse alors sur ma funèbre couche,
Triste et calme à la fois, comme un ange éploré,
Une figure en deuil recueillir sur ma bouche
L'héritage sacré !

Soutiens ses derniers pas, charme sa dernière heure,
Et, gage consacré d'espérance et d'amour,
De celui qui s'éloigne à celui qui demeure
Passe ainsi tour à tour !

Jusqu'au jour où, des morts perçant la voûte sombre,
Une voix dans le ciel, les appelant sept fois,
Ensemble éveillera ceux qui dormaient à l'ombre
De l'éternelle croix !

Nouvelles Méditations poétiques



Le Chrétien mourant

Qu'entends-je ? autour de moi l'airain sacré résonne !
Quelle foule pieuse en pleurant m'environne ?
Pour qui ce chant funèbre et ce pâle flambeau ?
O mort, est-ce ta voix qui frappe mon oreille
Pour la dernière fois ? eh quoi ! je me réveille
Sur le bord du tombeau !

O toi ! d'un feu divin précieuse étincelle,
De ce corps périssable habitante immortelle,
Dissipe ces terreurs : la mort vient t'affranchir !
Prends ton vol, ô mon âme ! et dépouille tes chaînes.
Déposer le fardeau des misères humaines,
Est-ce donc là mourir ?

Oui, le temps a cessé de mesurer mes heures.
Messagers rayonnants des célestes demeures,
Dans quels palais nouveaux allez-vous me ravir ?
Déjà, déjà je nage en des flots de lumière ;
L'espace devant moi s'agrandit, et la terre
Sous mes pieds semble fuir !

Mais qu'entends-je ? au moment où mon âme s'éveille,
Des soupirs, des sanglots ont frappé mon oreille ?
Compagnons de l'exil, quoi ! vous pleurez ma mort ?
Vous pleurez ? et déjà dans la coupe sacrée
J'ai bu l'oubli des maux, et mon âme enivrée
Entre au céleste port !

Méditations poétiques




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