La dévotion au Sacré-Coeur de Jésus

Résumé historique et théologique




5. L'enracinement et le développement de la dévotion : du XVII° à nos jours

Le XVII° siècle voit la renaissance de l'abbaye de Port-Royal, par la réforme que lui impose l'abbesse Angélique Arnauld en 1608, et la publication de l'Augustinus de Jansenius en 1640. Ces deux événements marquent la naissance d'un mouvement qui aura au sein de l'Eglise un fort retentissement : le jansénisme, dont les doctrines seront condamnées à plusieurs reprises par Rome, dès 1642. Ce sujet est développé en Annexe 2, avec les compléments informatifs en pages biographiques. Retenons ici que le jansénisme présente un Dieu sévère, et place l'homme sous la rigueur permanente de la justice divine. Les jansénistes se montreront des adversaires de la dévotion au Cœur de Jésus, dans un premier temps lorsque celle-ci sera présentée par Jean Eudes, puis de façon plus incisive lorsque Mgr Languet de Gergy publiera la vie de Marguerite-Marie, pour atteindre enfin son paroxysme lorsque le Bref de Clément XIII donnera en 1765 une existence officielle à la dévotion au Sacré-Cœur. Dans un article paru dans la Revue bleue en août 1908 intitulé Le Sacré-Cœur à Port-Royal en 1627, M. Gazier relève quelques écrits jansénistes dans lesquels on peut trouver trace du symbolisme du Cœur (écrits d'Angélique Arnauld, de Quesnel, …), mais sans qu'il soit évidemment question de "dévotion" à proprement parler. Il est toutefois certain qu'ils font exception, et il est par ailleurs difficile d'authentifier certaines des sources concernées. En voici deux exemples :

· Angélique Arnauld tout d'abord, dans un ouvrage qui lui est attribué (les rares exemplaires retrouvés ont été édités sans nom d'auteur) intitulé Elévations de cœur et prières à N.-S. J.-C. sur les mystères de sa passion, propres pour chaque jour de la semaine (Paris, chez Babuty, 1727), dans lequel on lit : "O sacré Cœur de Jésus ! ô source de grâces ! ô brasier d'amour ! souffrez que j'entre dans cette fournaise ardente et que je m'y consume par le feu de la charité. Oui, je m'y cacherai comme l'épouse dans les trous de cette pierre ; je me reposerai sur votre Cœur, j'y établirai ma demeure et je ne craindrai rien quand le monde et l'enfer s'élèveraient contre moi. O Jésus, ô le Dieu de mon cœur, souffrez que je me colle à votre sacré côté ; souffrez que je m'enivre à cette source vive et que je ne cherche jamais ailleurs de consolation".

· Le Père Pasquier Quesnel (1634-1719) ensuite, dans un livre publié en 1676 qui connu d'innombrables rééditions, ayant pour titre Elévations à Jésus-Christ Notre-Seigneur sur sa passion et sa mort, où l'auteur parle de la plaie du côté : "Cette plaie sacrée de votre côté est la porte de cette divine arche qui nous donne entrée dans votre Cœur pour y être couvert durant le temps de la vengeance. C'est là, mon Sauveur, le trou de la pierre, la ville de refuge et la forteresse où je désire me retirer dans mes peines, dans mes tentations et dans les frayeurs où mes péchés me jettent à la vue de votre justice. Cette ouverture est vraiment l'entrée de votre Cœur, et ce Cœur est l'école de la science de la croix et de la charité ; et c'est où je désire l'étudier toute ma vie. C'est la porte du temple de votre Cœur, où je désire souvent adorer Dieu en esprit et en vérité, comme dans le véritable sanctuaire. Ne me fermez pas, ô Jésus, cette arche, cette école et ce temple ; mais faites au contraire que j'y entre souvent par la foi". Le texte ci-dessus est repris de l'édition de 1889, sans qu'il soit possible d'affirmer que celle-ci reste fidèle à l'original.
Sur ce sujet, qui déborde le cadre de notre présente étude, on pourra consulter l'article très documenté de Louis Cognet, Les Jansénistes et le Sacré-Cœur, dans le recueil des Etudes Carmélitaines sur "Le Cœur", aux éditions Desclée de Brouwer (1950).

A l'opposé du jansénisme, et se développant parallèlement à celui-ci, le culte du Cœur de Jésus montre un Dieu miséricordieux, qui a soif des âmes des hommes, et n'attend que leur repentir pour manifester son pardon.

Le développement de la dévotion au XVII° siècle, nous le devons essentiellement à saint
Jean Eudes et sainte Marguerite-Marie Alacoque, chacun posant les fondements de ce que seront le culte liturgique (Jean Eudes) et le culte public (Marguerite-Marie) rendus au Sacré-Cœur.

Le premier développe la symbolique de l'amour incréé du Tout-Puissant, tout entier présent dans le Cœur de chair du Christ, Dieu fait homme : tous les grands mystères du christianisme, Jean Eudes les découvre dans le Cœur divin. Il compose le premier Office du Sacré-Cœur, et établit en 1672 la fête du Sacré-Cœur dans les maisons de son Institut. On se reportera à sa biographie, où sont données les grandes étapes qui ont marqué sa vie, toute au service des divins Cœurs de Jésus et de Marie.

Les révélations du Christ à Marguerite-Marie Alacoque, visitandine de Paray-le-Monial, de 1673 à 1675, révélées pour la première fois par la publication posthume de la Retraite spirituelle du Père Claude de La Colombière en 1684, sont le point de départ de l'expansion formidable que connaîtra la dévotion dès le XVIII° siècle. Les visions de la sainte dépassent sa personne, et sont destinées à l'Eglise entière. Dans ces révélations, l'accent est mis sur l'importance de la Réparation expiatrice et de la Consécration.

Notons toutefois que les premiers temps sont difficiles : l'époque se montre rebelle à la révélation. Précédant la parution du livre du P.
de La Colombière, une première tentative de Marguerite-Marie en vue d'honorer le Sacré-Cœur de Jésus (1685) soulève une tempête d'indignation dans la communauté. De même, la première tentative pour faire admettre par Rome la fête du Sacré-Cœur échoue en 1697. Benoît XIII répondra également par la négative aux demandes qui lui seront présentées par le Père Gallifet de 1726 à 1729. Le livre du Père Croiset sur la dévotion au Sacré-Cœur est mis à l'index en 1704 (la mise à l'index, pour cette édition, ne sera retirée qu'en 1887). En cette fin de XVII° siècle, si marquée par l'extrême rigueur janséniste, on se méfie jusqu'au sein de la Compagnie de Jésus des mystiques, et de tout ce qui se rattache au "pur amour".

L'avancée est donc lente. Le 16 décembre 1702, Clément XI, dans une Bulle spéciale en faveur des monastères de la Visitation, autorise la dévotion aux religieuses de ces monastères. Peu à peu, la dévotion au Sacré-Cœur sort de la seule enceinte des couvents. Ainsi, de 1688 à 1719, les archevêques de Lyon (François de Villeroy), de Besançon (Pierre de Grammont), et l'évêque de Coutances (Charles de Brienne) établissent la fête du Sacré-Cœur dans toutes les églises de leur diocèse. En 1720, encouragé en cette voie par
Anne-Madeleine Remuzat - religieuse de la Visitation de Marseille -, Mgr de Belsunce consacre sa ville dévastée par la peste au Sacré-Cœur de Jésus. A sa suite, les archevêques d'Aix, d'Arles, d'Avignon, et les évêques de Toulon et de Carpentras donnent des mandements pour l'institution de la fête. Toutes ces régions adoptent bientôt le culte du Sacré-Cœur. Paradoxalement, s'il faut attendre près de cent ans pour que le message de Paray-le-Monial inscrive son premier succès dans l'Eglise (en 1765), près de 700 Confréries du Sacré-Cœur sont fondées de 1690 à 1740, essentiellement par des membres de la Compagnie de Jésus, qui reçoivent toutes l'approbation (autorisation par bref apostolique) et les faveurs spirituelles de Rome.

Ce n'est qu'en 1765, suite à la présentation par les évêques polonais d'un mémoire au fondement théologique et à l'argumentation solides, que Clément XIII accorde, par un décret de la Congrégation des Rites, aux évêques de Pologne et à l'Archiconfrérie romaine la permission de célébrer, avec Messe et Office propre, la fête du Sacré-Cœur. La même année, la reine Marie Leczinska adresse aux évêques de l'Assemblée générale du clergé de France qui se tient à Paris, une lettre où elle leur demande d'établir dans leurs diocèses la fête du Sacré-Cœur. Ceux-ci se rendent à ses vœux, par courrier du 14 août 1765. Protestations et manifestations organisées par les jansénistes contre ceux qu'ils appellent les "
cordicoles" sont alors nombreuses. Ils les tournent en dérision dans leur journal clandestin des Nouvelles ecclésiastiques. En 1786, le "synode" janséniste de Pistoie, animé par l'évêque Scipion de Ricci (1741-1810), qualifie le culte rendu au Sacré-Cœur d'idolâtrie. Mais en 1788, une Bulle pontificale de Pie VI, Auctorem fidei, condamne les doctrines du "synode" de Pistoie, et plus généralement toute opposition doctrinale ou pratique au culte du Sacré-Cœur de Jésus.

Il faut attendre 1856 pour que l'Eglise de Rome, par l'intermédiaire de Pie IX, étende la fête du Sacré-Cœur à l'Eglise universelle. En 1899, Léon XIII l'élève au rite double de 1° classe et consacre solennellement l'ensemble du genre humain au Cœur très saint de Jésus. Il y a été engagé par Maria Droste zu Vischering (1863-1899), Supérieure du couvent du Bon Pasteur à Porto, qui l'a sollicité en ce sens à deux reprises.

Trois Encycliques marqueront l'attachement porté par les Pontifes romains à cette dévotion. En 1899 tout d'abord, l'Encyclique Annum Sacrum de Léon XIII, par laquelle ce dernier ordonne la consécration du genre humain au Sacré-Cœur. En 1928 ensuite, avec la promulgation de l'Encyclique Miserentissimus Redemptor de Pie XI, véritable petite somme théologique du Sacré-Cœur. La même année voit également l'institution d'une Messe et d'un Office nouveaux pour tout l'Octave, faisant de la fête du Sacré-Cœur l'une des premières fêtes de l'année liturgique. En 1956 enfin, avec l'Encyclique Haurietis Aquas de Pie XII, qui rappelle "qu'on doit attribuer au Sacré-Cœur le même culte d'adoration dont l'Eglise honore la personne même du Fils de Dieu incarné", véritable consécration de la dévotion au Cœur Sacré de Jésus.

Entre-temps, le Père
Mateo aura répandu la dévotion à travers le monde, en préconisant l'Intronisation du Sacré-Cœur dans les familles.
Beaucoup d'autres noms mériteraient d'être cités ici, véritables artisans de l'expansion de cette dévotion au Cœur du Christ en France et dans le monde. Nous allons tous les retrouver dans la chronologie détaillée au chapitre suivant.

Suite...


Le Sacré-Coeur de Jésus - Deux mille ans de Miséricorde
Le Sacré-Coeur de Jésus
Deux mille ans de Miséricorde


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« Les personnes qui propageront cette dévotion, auront leur nom inscrit dans mon Cœur, et il ne sera jamais effacé. »
(11ème promesse du Sacré-Coeur à sainte Marguerite-Marie)