Poésies d'inspiration chrétienne



A Vêpres

Seigneur, il nous est bon d'être ici (Math 17,4)

Le jour s'apaise. Allons cheminer, ô mon âme,
Exilés dans l'oubli de ce monde, tout seuls,
Sur la terrasse haute où quelque vieille femme
Cueille des fleurs aux branches calmes des tilleuls.

Vois, l'éclat du soleil se tait, le ciel s'efface
Et la plaine à mes pieds semble un étang qui dort.
Pourquoi n'ayant rien fait, mon âme, es-tu si lasse,
Toi qui ne dormiras pas même dans la mort ?

Quelle plaie avais-tu d'où la fièvre s'élance ?
L'arôme du feuillage et des calices clos
De son sommeil épars embaume le silence…
Est-ce le rossignol qui trouble ton repos ?

Dans cet enchantement câlin où s'évapore
La résolution des précises vertus,
Qu'avons-nous égaré, que cherchons-nous encore ?
Quel perfide regret nous a tant abattus ?

Une attente sans but en moi se désespère,
J'ai le mal d'un pays d'où le vent doit souffler.
Où donc est mon pays, la maison de mon père
Et le chemin secret où je veux m'en aller ?

Quelle haleine a flotté qui m'entraîne avec elle
Dans un espoir immense où me voilà perdu ?
Quel amour tout à coup m'environne, m'appelle ?…
Rien ne bouge… ô mon cœur, qu'ai-je donc entendu ?

La paix des alentours est auguste et profonde,
Vois, du bois pâle et bleu de douceur arrosé,
La caresse de Dieu qui s'étend sur le monde;
Toi-même a clos tes yeux sous l'aile d'un baiser.

Un invisible pas entr'ouvre l'herbe sombre
Et le souffle des champs qui tremblent le soutient…
C'est mon Seigneur, les bras tout grands ouverts dans l'ombre !
Il vient et je défaille à son passage… Il vient…

Seigneur, éloignez-vous de peur que je ne meure.
Eloignez-vous !… Où fuir ?… Ah ! faites ! Prenez-moi !
Tenez-moi contre vous et laissez que je pleure
Est-ce de joie, est-ce de peine, est-ce d'effroi ?

Il m'a pris dans ses mains et j'ai posé la tête
Sur le cœur du Berger ainsi qu'un agneau las.
Et j'y suis bien, sa folle et plaintive conquête,
J'y suis bien et s'il veut je ne bougerai pas.

Demeurons. Il fait bon, Seigneur, sur la montagne.
- Sommes-nous au sommet exalté du Thabor ? -
Demeurons, la nuit monte et lentement nous gagne,
Le soir fuyant s'égare… Ah ! demeurons encor…

Les corolles des champs ont renversé leur vase,
Un baume répandu coule des liserons
Et le ciel infini se noie en notre extase…
Il fait bon, il fait doux, ô Maître, demeurons.

Marie Noël (1883-1967)
Les Chansons et les Heures
Paris, Ed. Stock, 1935



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