Poésies d'inspiration chrétienne



Mater Dolorosa

Lorsque son Fils Jésus fut, lamentable et beau,
Descendu de la Croix et mis dans le tombeau,
Marie, ayant dans sa plénitude sévère
Accompli jusqu'au bout le maternel calvaire,
Eut soif soudain d'un peu de paix, d'isolement.
En dépit de leurs soins repoussant doucement
Tous les êtres aimés qui partageaient sa peine,
Tous, jusqu'à Jean l'Apôtre et jusqu'à Madeleine,
Elle laissa leurs coeurs se consoler entre eux
Et, seule à seule avec son rêve douloureux,
A travers le veuvage éperdu de cette heure,
S'en revint dans le soir vers sa triste demeure.
L'univers tout entier semblait frémir encor
Du récent drame auquel il servait de décor :
Les oliviers tordus par de tragiques bises
Secouaient sur le sol, sans fin, leurs feuilles grises,
Qui, tels des pleurs de cendre, erraient - vol infécond ! -
Le crêpe échevelé des nuages de plomb
Voilait le front lointain et livide des cimes
Où le couchant râlait en des rougeurs de crimes...
Marie, avec effroi, se demandait comment
Dieu, malgré l'équité de son esprit clément,
Pardonnerait jamais aux hommes cette faute
Dont l'aberration se révélait si haute
Que les éléments même exhalaient, anxieux,
L'innombrable courroux de la terre et des cieux
                  En révolte.
                                       Non loin, au coeur d'un térébinthe,
Une palombe, oiseau de paix, pleurait sa plainte...

*
*            *

Soudain, sur le sentier, au-devant de ses pas,
La Vierge vit venir une femme. Si las
Semblait son pauvre corps courbé par la vieillesse,
Son visage ridé, son regard de détresse,
Que Marie, au travers de sa propre douleur,
Devina dans cette âme une misère soeur.
Lors, elle interrogea doucement l'inconnue.
Celle-ci, d'une voix navrante, contenue,
Ne put que lui répondre en se tordant les mains
Et secouant la tête : " Ah ! Passez vos chemins,
Femme, et laissez leur cours à mes larmes amères.
Je suis, hélas ! la plus malheureuse des mères ! "
La Mère des Douleurs, d'un geste, l'arrêta...
Quel tourment, ici-bas, valait son golgotha ?
Quel fils pouvait subir un destin plus infâme ?
Elle voulut savoir le nom de cette femme...
L'étrangère frémit. Sur l'émoi d'alentour
Ses yeux brûlés, ternis, se fixaient tour à tour
En angoisse craintive, en muette prière...
Son être, sous le poids de la honte dernière,
Plia. Son souffle, empreint d'horreur, sourd comme un glas,
Agonisa: " Je suis... la mère... de Judas ! "
Marie, à son tour, tressaillit, puis, convaincue
Par cette immensité de torture vécue,
Sentit son coeur se fondre en un cri de pitié...
Douce, elle releva le corps humilié
Et dans un fraternel élan posa ses lèvres
Sur le pâle visage où les pleurs et les fièvres
Expiaient, en vertu d'un mystère infini,
L'autre baiser donné sur le Gethsémani !...
Pendant ce temps, non loin, au coeur du térébinthe,
L'oiseau de paix, l'oiseau d'amour, chantait sa plainte...

Lya Berger, Les Effigies, 1911


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