Défense du Catholicisme

26 mars 2007





Le soin des malades en fin de vie : Déclaration commune juive-catholique.

Poursuivant le dialogue entre juifs et catholiques entamé depuis la déclaration Nostra Ætate du concile Vatican II, la Commission pour les relations avec les autres religions du Consistoire de Paris (CRAR) et le Service des relations avec le judaïsme du fiocèse de Paris (SRJ) ont constitué un groupe de réflexion sur les questions touchant à la fin de la vie humaine. Ce groupe s’est attaché à faire une lecture commune de la loi du 22 avril 2005, dite « Loi Leonetti », relative aux droits des malades et à la fin de vie. Ayant recueilli le résultat de ce travail, nous estimons utile d’apporter la contribution de ce groupe à la réflexion sur ce sujet qui touche une question essentielle : le respect de la vie humaine et l’attention que les bien-portants doivent aux mourants ou à ceux qui sont gravement malades.

1. Juifs et catholiques, nous reconnaissons le droit et le devoir de toute personne de prendre un soin raisonnable de sa santé et de sa vie, et le devoir corrélatif de la famille et des soignants de prodiguer à un malade les soins nécessaires, dans la mesure de leurs moyens ou des ressources mises à leur disposition par la société. Le développement incessant des sciences médicales et des moyens utilisés pour le diagnostic et le traitement des maladies rend cependant nécessaire de nos jours de s’interroger sur le devoir d’y recourir, sur les circonstances qui légitiment l’abstention de certains de ces moyens, et, d’une manière générale, sur les soins dus aux malades parvenus au terme de leur vie.

2. Le commandement biblique : « Tu ne tueras pas » exige de la famille et des soignants de ne pas chercher à hâter la mort du malade, et des malades de ne pas attenter à leurs jours, ni de demander l’aide d’autrui dans cet objectif. En nous appuyant sur ce commandement nous exprimons une opposition très ferme à toute forme d’assistance au suicide et à tout acte d’euthanasie, celle-ci étant comprise comme tout comportement, action ou omission, dont l’objectif est de donner la mort à une personne pour mettre ainsi fin à ses souffrances.

3. Pour nous, la sollicitude due à nos frères et soeurs gravement malades ou même agonisants, « en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable » selon les termes de la loi, exige de s’employer à porter remède à leurs souffrances. Tel est l’objectif majeur des soins palliatifs tels qu’ils sont officiellement définis. Nous ne pouvons donc que nous réjouir de ce que la loi invite à les développer dans tous les hôpitaux et les établissements médico-sociaux.

4. L’article 2 de la loi du 22 avril 2005 prévoit explicitement que le médecin applique « un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger la vie » lorsque c’est le seul moyen de « soulager la souffrance d’une personne en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable ». Nous jugeons que le recours à un tel traitement est légitime à certaines conditions : qu’il y ait des raisons graves d’agir ainsi, des souffrances intenses qui ne peuvent être soulagées autrement, et que l’éventuel effet secondaire d’abrègement de la vie ne soit en aucune façon recherché. L’objectif poursuivi en administrant ce traitement est alors uniquement de soulager de fortes souffrances, non pas d’accélérer la mort. Des « recommandations de bonne pratique médicale » destinées à vérifier que les conditions précédentes sont remplies ont déjà été formulées par des institutions compétentes. Il importe que ces recommandations soient régulièrement mises à jour, ratifiées par la Haute Autorité de Santé et observées dans la pratique.

5. Sans rien renier de nos convictions religieuses et du respect dû à toute vie humaine, il nous paraît juste, après les démarches requises, de ne pas entreprendre des traitements médicaux qui ne pourraient améliorer l’état de santé du malade, ou n’obtiendraient un maintien de la vie qu’au prix de contraintes ou de souffrances disproportionnées, ou dans une situation extrême. En ce sens, nous approuvons le principe général formulé par la loi : les actes médicaux « ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable ».

6. Le fait de ne pas entreprendre (ou de ne pas maintenir), pour un malade déterminé, tel ou tel traitement médical, ne dispense pas du devoir de continuer à prendre soin de lui. Juifs et catholiques, nous jugeons qu’il est de la plus haute importance de chercher le moyen et la manière les plus adéquats d’alimenter le malade, en privilégiant dans toute la mesure du possible la voie naturelle, et en ne recourant à des voies artificielles qu’en cas de nécessité.

7. Il apparaît clairement, dans nos traditions respectives, que l’apport d’eau et de nutriments destinés à entretenir la vie répond à un besoin élémentaire du malade. L’alimentation et l’hydratation par la voie naturelle doivent donc toujours être maintenues aussi longtemps que possible. En cas de véritable impossibilité, ou de risques de « fausse route » mettant en danger la vie du malade, il convient de recourir à une voie artificielle. Seules des raisons graves dûment reconnues (non assimilation des nutriments par l’organisme, souffrance disproportionnée entraînée par l’apport de ceux-ci, mise en danger de la vie du malade du fait de risques d’infections ou de régurgitation) peuvent conduire dans certains cas à limiter voire suspendre l’apport de nutriments. Une telle limitation ou abstention ne doit jamais devenir un moyen d’abréger la vie.

Juifs et catholiques, nous jugeons donc que, en ce qui concerne l’apport de nutriments, la loi du 22 avril présente une réelle ambiguïté. Il n’y est pas précisé que pour les malades chroniques hors d’état d’exprimer leur volonté l’alimentation et l’hydratation par voie naturelle ou artificielle doivent être maintenues, même lorsque la décision a été prise de limiter les traitements médicaux proprement dits. Il convient que les instances compétentes favorisent et garantissent cette interprétation de la loi.

C’est à son attitude à l’égard des plus faibles, parmi lesquelles les personnes en fin de vie ont une place toute particulière, qu’une société manifeste son degré d’humanité. La véritable compassion ne peut se traduire par le fait de provoquer délibérément la mort d’autrui. Notre société, si sensible à la souffrance des personnes en fin de vie, se doit d’apporter à tous ceux qui en ont besoin les moyens d’accompagnement et de soins palliatifs qui respectent la vie humaine. Ce respect constitue l’un des fondements de toute civilisation qui se veut humaine.

Paris, le 26 mars 2007

Mgr André Vingt-Trois, Archevêque de Paris
David Messas, Grand Rabbin de Paris



Euthanasie : juifs et catholiques dénoncent les ambiguïtés de la loi Leonetti

La déclaration commune juive-catholique sur le soin des malades en fin de vie qui vient d’être rendue publique apporte un éclairage moral extrêmement pertinent. Rédigée sous l’autorité du Grand Rabbin de Paris, David Messas, et de Mgr André Vingt-Trois, elle manifeste la profonde unité entre juifs et catholiques dans le respect de la vie (texte intégral ci-dessus). [1]

Pour les juifs, la vie d’un seul instant est aussi précieuse que la vie dans son ensemble et autorise même qu’on transgresse le shabbat pour en préserver la fragilité. Même condamnée à court terme, quels que soient le degré de conscience, les capacités ou la qualité de vie dont dispose le malade, la vie demeure inviolable. Dans le même temps, la prise en compte de la souffrance a toujours été un souci constant du droit rabbinique conjugué avec la sainteté de la vie elle-même.

Le texte signé à Paris ne se contente pas de rappeler des grands principes. Si la déclaration approuve les objectifs affichés par la loi Léonetti du 22 avril 2005 – le refus absolu de l’euthanasie et du suicide médicalement assisté, la prohibition de l’acharnement thérapeutique renommé “obstination déraisonnable” et une politique efficace de développement des soins palliatifs, elle pointe deux difficultés majeures :


1/ L’ambiguïté de l’intention

En premier lieu, on sait que la doctrine du double effet issue de l’exposé classique fait par saint Thomas d’Aquin a été en quelque sorte incorporée à la loi, complétant l’article L. 1110-5 du Code de la santé publique comme suit : « Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer la malade. »

L’effet bon et premier délibérément recherché est de calmer la douleur et l’effet second non voulu pour lui-même mais prévu et accepté comme un risque est une précipitation possible du décès du malade. Soulager la souffrance au risque de la mort ne relève absolument pas de la même intention qu’induire la mort pour supprimer cette souffrance.

Or l’application de la doctrine du double effet peut être pervertie, ce que soulignent implicitement les rédacteurs de la déclaration commune dans le point n. 4 en demandant une vérification rigoureuse des pratiques et une bonne formation éthique des professionnels de la santé. Le danger est en effet que l’effet secondaire devienne la fin première de certaines décisions médicales sous couvert d’objectif antalgique. Aux Pays-Bas où l’euthanasie est légalisée et où l’enseignement de l’éthique en fin de vie s’est réduit comme une peau de chagrin, les médecins hollandais avouent en majorité qu’ils prescrivent la morphine dans l’intention première de précipiter le passage de vie à trépas de leurs malades, ce qui constitue clairement une pratique euthanasique.


2/ L’alimentation n’est pas un “traitement médical”

D’autre part, un des points les plus controversés de la loi Léonetti est le statut de l’alimentation artificielle. Rangée dans la catégorie des traitements médicaux, elle pourrait être ainsi suspendue à la demande des proches du patient. Le risque est là encore de poser un acte de nature euthanasique en arrêtant une alimentation assistée alors même que le malade n’est pas engagé dans un processus de mort à court terme. Ce que notent avec force les rédacteurs du texte : « Seules des raisons graves dûment reconnues (non assimilation des nutriments par l’organisme, souffrance disproportionnée entraînée par l’apport de ceux-ci, mise en danger de la vie du malade du fait de risques d’infections et de régurgitation) peuvent conduire dans certains cas à limiter voire suspendre l’apport de nutriments. Une telle limitation ou abstention ne doit jamais devenir un moyen d’abréger la vie (point n.7) ».

On retrouve l’argument du double effet : il n’est jamais licite de stopper cette alimentation si l’intention première est de faire advenir la mort.

D’ailleurs, juifs et catholiques s’accordent à classer l’alimentation, par voies naturelle ou artificielle, comme un soin – et non un traitement – répondant à un besoin élémentaire du malade en fin de vie, position étayée par de nombreux éthiciens à l’heure actuelle. Les rédacteurs demandent qu’on « [cherche] le moyen et la manière les plus adéquats d’alimenter le malade, en privilégiant dans toute la mesure du possible la voie naturelle (point n. 6) ». Poser une sonde d’alimentation est parfois la solution de facilité qui s’apparente plus à de la négligence ou de la maltraitance tant on sait que l’alimentation naturelle de personnes très diminuées sur le plan de la déglutition est coûteux en temps, en personnel et donc en moyens financiers et humains.

Ce point a malheureusement été peu abordé par la mission parlementaire qui a préparé le texte de la loi du 22 avril 2005. D’où l’inquiétude du Grand Rabbin et de l’archevêque de Paris : « Nous jugeons donc que, en ce qui concerne l’apport de nutriments, la loi du 22 avril présente une réelle ambiguïté. Il n’y est pas précisé que pour les malades chroniques hors d’état d’exprimer leur volonté, l’alimentation et l’hydratation par voie naturelle ou artificielle doivent être maintenues […]. Il convient que les instances compétentes favorisent et garantissent cette interprétation de la loi. » En effet, devant le vieillissement inéluctable et le coût grandissant des soins de nursing, certains trouvent déjà la « charge » de ces malades problématiques…

Tout en confortant les aspects positifs de la loi relative la fin de vie, juifs et catholiques font preuve de vigilance éthique pour éclairer les consciences sur les difficultés d’une législation pouvant donner lieu à des abus dans les pratiques. Ce document est plus qu’une réflexion. C’est un acte de charité intellectuelle au service des élus, des professionnels du soin, des malades et de leurs familles, qui en sont les destinataires privilégiés.

Pierre-Olivier Arduin, responsable de la Commission de bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon.

[1] : En Israël, on enregistre depuis 1990 une baisse régulière de 10% des avortements. La majorité des femmes qui désirent interrompre leur grossesse ont entre 25 et 34 ans. En 2005, on compte 136 avortements pour 1000 naissances (en RFA 183, en France 274, en Suède 341, en Russie 1127). Toute femme qui veut interrompre sa grossesse doit faire une demande spéciale à une commission du ministère de la Santé. En 2005, sur 20 772 femmes qui ont demandé une IVG, 20 318 ont obtenu l’autorisation soit 94% d’entre elles. Source : Un Echo d’Israel.net (Ndlr)

Source : Fondation de service politique.



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