Livres anciens - Beaux textes




François de Salignac de la Mothe-Fénelon (1651–1715) : Sur la prière


Mais ce que je vous demande au-dessus de tout, c'est de prendre tous les jours, par préférence à tout le reste, un demi-quart d'heure le matin et autant le soir, pour être en société familière et de cœur avec Dieu. Vous me demanderez comment vous pourrez faire cette prière ; je vous réponds que vous la ferez excellemment, si c'est votre cœur qui la fait. Eh ! comment est-ce qu'on parle aux gens qu'on aime ? Un demi-quart d'heure est-il si long avec un bon ami ? Le voilà l'ami fidèle qui ne se lasse point de vos rebuts, pendant que tous les autres amis vous négligent, à cause que vous ne pouvez plus être avec eux en commerce de plaisir. Dites-lui tout ; écoutez-le surtout, rentrez souvent au dedans de vous-même pour l'y trouver. Le royaume de Dieu est au-dedans de vous, dit Jésus-Christ. Il ne faut pas l'aller chercher bien loin, puisqu'il est aussi près de nous que nous-mêmes. Il s'accommodera de tout : il ne veut que votre cœur ; il n'a que faire de vos compliments, ni de vos protestations étudiées avec effort. Si votre imagination s'égare, revenez doucement à la présence de Dieu : ne vous gênez point ; ne faites point de la prière une contention d'esprit ; ne regardez point Dieu comme un maître qu'on n'aborde qu'en se composant avec cérémonie et embarras. La liberté et la familiarité de l'amour ne diminueront jamais le vrai respect et l'obéissance. Votre prière ne sera parfaite que quand vous serez plus au large avec le vrai ami du cœur qu'avec tous les amis imparfaits du monde. Vous me demanderez quelle pénitence vous devez faire de tous vos péchés : je vous réponds comme Jésus-Christ à la femme adultère : Je ne vous condamnerai point ; gardez-vous de pécher encore. Votre grande pénitence sera de supporter patiemment vos maux, d'être attaché sur la croix avec Jésus-Christ, de vous détacher de la vie dans un état triste et pénible où elle devient si fragile, et d'en faire le sacrifice, avec un humble courage, à Dieu, s'il le faut. O la bonne pénitence, que celle de se tenir sous la main de Dieu entre la vie et la mort ! N'est-ce pas réparer toutes les fautes de la vie, que d'être patient dans les douleurs, et prêt à perdre, quand il plaira à Dieu, cette vie dont on a fait un si mauvais usage ?

Voilà, Monsieur, les principales choses qui me viennent au cœur pour vous ; recevez-les, je vous supplie, comme les marques de mon zèle. Dieu sait avec quel attachement et quel respect je vous suis dévoué. Plus j'ai l'honneur de vous voir, plus je suis pénétré des sentiments qui vous sont dus. Je prie Dieu tous les jours afin qu'il vous donne l'esprit de prière, qui est l'esprit de vie. Que ne ferais-je point pour attirer sur vous les miséricordes de Dieu, pour vous procurer les solides consolations, et pour vous tourner entièrement vers votre salut !

Fénelon, extrait des Lettres sur la religion.



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