Livres anciens - Beaux textes




Ernest Hello (1828-1885) : Le travail et le repos


L'année finit, l'année commence. Voici donc l'heure de rajeunir : Adveniat regnum tuum ! Nous rajeunirons aux sons des cloches qui chantent la marche du temps, si nous suivons l'étoile qu'ont aperçue les rois Mages. Nous rajeunirons, si nous laissons là les petites choses, qui sont toujours vieilles, pour vivre dans l'Immense, si nous nous rapprochons, si nous rapprochons la science et l'art de l'éternelle beauté, qui est l'éternelle jeunesse, ad Deum qui laetificat juventutem meam.

Vous rajeunirez, vous tous qui vous plaignez du temps, à la fois lourd et rapide pour vous, le jour où vous voudrez servir les intérêts de la vérité sur la terre, et combattre pour elle. Nous rajeunirons tous, si nous obtenons de Dieu et de nous-mêmes deux choses, que je lui demande et qu'Il me demande : "le travail et le repos".

Travailler, c'est chose simple ; mais se reposer, voilà le difficile. Nous sommes affamés de travail ; mais le repos demande un effort. L'homme travaille sans repos quand il agit, ne comptant que sur lui ; il travaille et se repose quand il agit, comptant sur Dieu d'abord.

Vous ne pouvez rien faire sans moi, a dit Jésus-Christ.


Qui de nous peut se procurer, par ses propres forces, une minute de vie ? Si l'homme voulait s'inquiéter, il faudrait s'inquiéter de tout, car tout le menace avec la supériorité d'une force écrasante qui pèse sur un roseau. L'air qu'il respire peut l'empoisonner. Dieu le tient par un fil suspendu au-dessus de l'abîme. Si l'homme conçoit un projet, ce projet exige, pour sa réalisation, un certain nombre de mouvements matériels et moraux chez une foule d'êtres qui ne dépendent pas de lui. Il faut déterminer. Il faut que le monde extérieur lui prête une complicité qu'il est sans force pour se procurer. Autant vaudrait compter sur la force de son petit doigt pour pousser les planètes dans l'espace, que d'entreprendre une œuvre appuyée sur soi, que de lutter avec ses propres forces contre la nature et l'humanité. Mais, chose merveilleuse ! l'action de l'homme, y compris sa passion, peut s'unir à l'action de Celui qui Est. Tout acte humain, fût-ce le plus impuissant, perd son impuissance s'il s'unit à l'acte de la Rédemption. Dieu nous accorde et nous ordonne d'accepter la gloire féconde d'une activité qu'il unit à la sienne. Nous agissons avec lui, et notre travail se repose en lui.

Qui de nous peut mesurer l'immensité de son action ?

Il faudrait suivre les ricochets de nos actes et pouvoir entendre les échos de nos prières.

Nous ne sommes pas capables de nous mesurer.

Il y a, pour l'homme, deux choses, entre autres, qui sont incompréhensibles, sa puissance : Je peux tout en celui qui me fortifie ; son impuissance : Sans moi, vous ne pouvez rien faire.


L'Orient déchu a oublié la puissance de l'homme ; de là, la fatalité qui oublie l'acte humain.

L'Occident déchu a oublié la puissance de Dieu et l'impuissance de l'homme isolé ; de là l'orgueil et l'inquiétude qui oublient l'acte divin.

Ces deux vices établissent l'indifférence, qui est la négation pratique.

La vérité produit l'humilité, qui s'oppose au vice occidental, à l'orgueil inquiet ; et l'activité, qui s'oppose au vice oriental, à la paresse fataliste.

La vérité produit à la fois le travail, qui est la vertu propre de l'Occident, et le repos, qui est la vertu propre de l'Orient.

Tourné vers l'Orient, la ville occidentale, Rome a proclamé l'Immaculée Conception de celle qui a répondu Fiat ! à l'ange Gabriel : de celle que l'Eglise appelle la Porte orientale : Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour les deux hémisphères !


Ernest Hello, extrait de "L'Homme", 1° partie : "La Vie", Paris, Victor Palme, 1872



La "Physionomie des Saints" d'Ernest Hello vient d'être rééditée par les Editions du Sandre



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